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verse de plus en plus dans l’imitation des Chinois, auxquels on emprunte non-seulement leur écriture, mais leurs mots, parfois leur syntaxe et surtout leurs idées et leur philosophie.

La troisième période, qui s’étend du xiiie au commencement du xviie siècle, est remplie par les guerres intestines, les violences d’une féodalité en délire, et répond aux jours les plus sombres de notre moyen âge. La littérature reste stationnaire ; elle se réfugie dans les bonzeries, d’où elle sort complètement pétrifiée, sous Yéyas (1610), pour imposer désormais ses formes raides, ses procédés, ses allures à l’imagination des âges postérieurs, comme au moyen âge la scolastique emprisonnait les esprits dans ses formules infranchissables.

La quatrième période, qui s’ouvre alors et dure encore, se distingue par une production infiniment plus abondante que les précédentes et par la propagation des lumières dans les centres provinciaux. L’imprimerie, connue dès le xiiie siècle, mais peu employée jusqu’au xviie multiplie les livres et les moyens d’instruction ; une profonde paix favorise les études de longue haleine ; les monarques encouragent un mouvement intellectuel qui éloigne les esprits de toute tentative d’opposition. Une foule d’hommes éminens s’enfonce plus avant dans l’étude des textes chinois, fouille les annales du Japon, reconstitue son histoire, commente ses anciens monumens, restaure même sa vieille religion passée de mode. On voit les Japonais s’essayer aux investigations archéologiques et philologiques. Avec Mabuchi et Mootori Horinaga apparaissent les premiers essais de critique. Le second atteint même un style dégagé des termes chinois, clair et facile, qui n’est malheureusement pas assez imité par ses successeurs. Enfin dans ces dernières années il semble se produire une nouvelle évolution encore mal dessinée ; des tentatives comme la traduction de Stuart Mill et de l’Essai sur la civilisation en Europe brisent la langue sans l’assouplir et montrent clairement ses imperfections, sans y remédier. L’étudiant japonais laisse de côté ses anciens livres classiques pour apprendre nos langues occidentales et s’assimiler les fruits de notre culture ; mais, trahi par l’insuffisance de son idiome, il ne peut plus exprimer ses notions de fraîche date que dans un patois barbare. La littérature contemporaine vit de traductions ou d’imitations informes. Jamais on n’a pu dire avec tant de vérité : Traduttore, traditore.

De toutes les branches de la littérature japonaise celle qui a donné le plus de fruits est sans contredit l’histoire ; longue serait la nomenclature des écrivains[1] qui depuis l’an 711 jusqu’à nos jours

  1. Voir la liste de ces historiens dans un intéressant article de M. E. Satow, inséré dans l’American Cyclopædia, auquel nous renvoyons pour la nomenclature des principaux auteurs japonais dans les différens genres.