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ont recueilli les événemens passés ou contemporains pour en fixer le souvenir. La plupart de ces travaux ne sont que des annales sèches, d’insignifiantes compilations de faits, des récits mal reliés entre eux, des enfilades d’aventures qui semblent d’autant plus monotones que les traits caractéristiques qui pourraient les diversifier disparaissent dans une narration rapide et sans relief. Un fait d’une importance capitale, comme l’avènement d’un pouvoir nouveau, la création d’une fonction nouvelle, une révolution en germe dans une institution, ne tient pas plus de place qu’un duel, une conspiration déjouée, une simple observation météorologique. En vain on demanderait à l’annaliste une vue d’ensemble, une conclusion philosophique, un jugement, une appréciation générale sur la période qu’il étudie. Il semble qu’en adepte docile de la doctrine bouddhique il tremble de prêter un enchaînement logique à la série des faits qu’il raconte, et n’y voie qu’une accumulation de phénomènes purement fortuits. La plupart du temps il se borne à suivre de mois en mois l’ordre chronologique sans s’occuper de relier dans un même chapitre et d’exposer avec suite les événemens qui sont la conséquence les uns des autres. On reconnaît ici l’absence de méthode qui frappe de stérilité toutes les créations des Japonais.

Ce n’est que vers le milieu du XVIIIe siècle qu’on voit se dessiner dans les œuvres d’Arai Hakuseki un essai de système philosophique. Les vingt-deux volumes du Nihon Gaishi publiés par Rai Sanyo (1780-1833) sont également construits sur un plan rationnel. L’auteur, ayant à raconter la période qui s’écoule du XIIe au XVIIe siècle, s’efforce de présenter les débuts, l’apogée et la décadence de chacune des familles princières qui à cette époque s’arrachèrent successivement le pouvoir dont elles avaient dépossédé les mikados; il met dans la bouche de ses personnages des discours à la façon de Tite-Live, qui, à défaut de la vérité historique, nous font du moins connaître les sentimens qu’un Japonais du XVIIIe siècle prêtait à ses compatriotes du XIIe. Kyomori, chef de la maison des Taïra, parvenu au faîte de la puissance et des honneurs, a conçu quelques soupçons contre des rivaux qui s’efforcent de ruiner son crédit auprès de l’empereur. Il forme le projet d’arracher la personne sacrée du mikado aux courtisans qui le circonviennent, et à cet effet appelle auprès de lui tous les chefs militaires. Au moment de la réunion, Sigémori, fils de Kyomori, plus touché par le respect d’un fidèle sujet envers son souverain que par le devoir filial, se présente devant son père :