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la marâtre est découverte, elle subit la peine de ses méfaits en mourant dans la misère ; tous ses complices sont punis par le sort, et le père se confine dans la retraite, tandis que chaque personnage du roman reçoit une récompense proportionnée à ses mérites.

Le plus célèbre sans comparaison de tous ces monogatari est le Gengi monogatari, en cinquante-quatre livres, dû à la poétesse Murasaki Shikibu, qui vivait au XIe siècle de notre ère; on montre encore près du lac Biwa l’éminence où elle s’était fait construire une sorte de petit oratoire et passait de longues heures à contempler le site romantique qu’elle avait sous les yeux. Gengi est le fils d’une des favorites du mikado; la nature l’a doué si brillamment qu’il peuple le Japon de ses conquêtes amoureuses; le nom de chaque nouvelle victime fournit son titre à un nouveau livre. C’est surtout par les qualités du style et le progrès qu’il marque dans la formation du langage que se recommande cet ennuyeux roman de la Scudéry japonaise.

Quelquefois le monogatari se rapproche de la vérité historique au point de n’être qu’une forme particulière de récit. Tel est le cas pour le Heike monogatari, relation à demi poétique des guerres féodales qui divisèrent pendant plusieurs siècles les puissantes familles de Hei et de Gengi, désignées plus souvent par les noms de Taïra et de Minamoto. Voici le début de cette composition, qu’on ose à peine qualifier de poème :

« Si le son de la cloche du temple de Gion est l’écho des vicissitudes humaines, l’éclat passager des fleurs des" arbres montre que toute prospérité a son déclin. Les orgueilleux ne subsistent pas longtemps; leur vie est comme le songe d’une nuit d’été. Les guerriers aussi finissent par tomber; ils ressemblent à une lampe exposée au vent. » Puis vient une biographie très exacte et très prosaïque des divers personnages, entremêlée d’anecdotes puériles, de renseignemens chronologiques et d’épisodes parfois intéressans comme celui de Hotoké Gozen. C’est une danseuse qui se présente devant Kyomori, le chef du clan des Taïra, dans l’espoir de faire agréer ses services par le tout-puissant seigneur. Il la repousse d’abord; mais, sur les instances de sa favorite Giwau, il la rappelle, consent à la regarder et à l’entendre; elle chante : « En voyant pour la première fois le jeune prince, il m’apparut comme un jeune pin de la plus belle espèce, pouvant vivre même au-delà de mille générations. Sur la colline des Tortues qu’entoure l’étang d’Omayé, des grues viennent en foule se divertir. » Le prince, ravi de sa beauté, renvoie Giwau, pour prendre à sa place l’incomparable chanteuse, qui proteste en vain contre tant d’honneur. Giwau s’éloigne tristement en chantant : « Soit qu’elles germent, soit qu’elles