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douleur, à l’idée de le quitter pour rejoindre son père. Il se croit sûr de la consoler en lui montrant le prix de sa rançon, mais, ô douleur! son argent a disparu, et il fait tout haut cette réflexion éminemment sage que, s’il l’eût noué dans un mouchoir, cet accident ne lui serait pas arrivé. A quoi il ajoute qu’il fera bien de mettre fin à ses jours, car il y a vraiment avantage à se débarrasser de la vie quand on peut se tromper au point de prendre 100 rios pour une pierre ou un tesson. Cet accès de désespoir amène les deux amans à former sérieusement le projet de se tuer.

Ils sont interrompus par l’arrivée de Rioské, serviteur envoyé de Kamakura par le père de Komatsu, pour la ramener; il lui apprend qu’il vient de payer sa rançon, qu’elle n’a plus qu’à le suivre, et s’indigne de la voir hésitante et désolée au moment de rentrer dans son pays natal. Que dira son père, qui a donné parole à un samurai? De quel front lui proposerait-on pour sa fille l’alliance d’un marchand comme Sakitsi? Que dira sa tendre mère, qui compte sur ses doigts le jour du retour, en disant : Sera-ce aujourd’hui? sera-ce demain? Komatsu proteste de sa piété filiale; elle obéira, mais elle demande encore une heure pour faire ses adieux à son amant. A peine seule avec lui, elle tombe dans ses bras et se laisse emmener furtivement par la fenêtre. En s’éloignant de la maison et passant près du pont des Pruniers, ils entendent la mélopée plaintive d’un drame qu’on représente non loin d’eux :

Que reste-t-il de l’existence?
La vie est le chemin qui mène à la mort,
Route solitaire à travers les landes désolées,
Qui ne garde pas même la trace du pied qui la foule.
Faible écho qui ne peut répéter les sept coups que sonne
la cloche à l’aurore.


Des lanternes qui courent à quelque distance les avertissent qu’on est à leur recherche ; profitant de l’absence de leurs amis, ils se glissent dans la maison de Tofei pour s’y préparer tranquillement à la mort. Cependant le drame continue à portée de leur oreille.


Autrefois l’une des étoiles de la Grande-Ourse s’était éprise de la brillante Véga.

Mais devant elle les sombres nues tendaient leur rideau de vapeurs.

Des corbeaux vinrent à passer et firent un pont sur la voie lactée.

Ces deux astres purent ainsi à travers l’espace confondre leur amour.


Les deux amans ne manquent pas de s’appliquer ces paroles qui semblent faites pour eux. Quiconque a entendu déclamer d’un ton