Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/770

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le retrouvons batelier, sa femme tient maison de thé, la vieille mère est guérie, et la famille prospère grâce au capital laissé par Miosan. Nous retrouvons aussi Sakitsi, qui, à force de distraire son chagrin, est devenu un libertin effréné, dont les déportemens affligent vivement sa mère. Un jour, dans la cabane de Tofei, il rencontre, sous le nom de guerre de Komatsu, la belle Miosan, dont le souvenir n’a cessé de le poursuivre depuis leurs rencontres au temple de Nara. Elle ne se rend pas du premier coup à son amour, qu’elle croit banal, comme celui de ses adorateurs habituels; mais, quand elle en a reconnu la sincérité, elle se donne tout entière et exclusivement à son bien-aimé. Le malheur est que cette liaison effraie la mère de Sakitsi, laquelle enferme son fils avec défense de sortir. Mais Hanayo, tante de Komatsu, réussit, sous le déguisement d’une sorcière, à pénétrer jusqu’au jeune homme et lui apprend que le père de Komatsu la réclame, et que, la croyant toujours au service d’un seigneur, il l’a fiancée à un jeune samurai de ses amis. Il faut donc à tout prix racheter Komatsu des mains de son maître actuel et la disputer à son futur époux. Sakitsi est plongé dans une profonde perplexité que vient encore augmenter une réprimande maternelle.

« Ce qui vous rend malade, dit la respectable matrone, c’est ce fléau de Komatsu, avec qui vous vivez dans la mollesse. Appuyés sur le même coussin, vous vous dites l’un à l’autre de tendres propos, sur le vin et l’amour. Vous avez fini par perdre votre attitude martiale ; maintenant vous avez un air efféminé. Ne comprenant pas l’importance de l’argent, vous le dissipez en miroirs ou autres objets futiles. Les conseils qu’on vous a donnés n’ont eu aucune influence sur vous ; ils étaient comme le couvercle carré qui ne peut s’adapter sur une boîte ronde. Hier encore cet enfant couchait avec ses parens; aujourd’hui ils sont comme une épine dans ses yeux et il ne peut voir sans se fâcher le bonnet de vieillesse qu’ils portent sur leur tête. » À ce sage discours, elle ajoute une conclusion peu logique, le don d’un paquet de 100 rios.

Nanti de cette somme, Sakitsi s’élance tout joyeux vers la demeure de sa bien-aimée, qu’il espère grâce à cet argent racheter de sa servitude. Mais, au moment d’escalader la palissade de la maison où elle l’attend, il est interrompu par les aboiemens de chiens menaçans ; il leur jette des pierres, et, faisant un projectile de tout ce qui se trouve sous sa main, il lance à toute volée, sans faire attention, le précieux paquet de rios. Tout à coup une lanterne qui brillait à quelque distance s’éteint, et l’on entend une voix s’écrier : « Quel est le drôle qui me lance ainsi des pierres? » Cependant Sakitsi se glisse auprès de Komatsu, qu’il trouve plongée dans la