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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/782

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bêtes qui parlent? Nous venons de citer les exploits du crabe. On a déjà vu le raisonnement des deux souris, les miracles opérés par une enchanteresse déguisée en tortue de mer; les animaux ont aussi dans le fabliau japonais leur caractère propre et leurs traits de race. Le renard en particulier jouit d’une réputation de finesse aussi générale et non moins usurpée que chez nos fabulistes ; mais il a pour rival et pour compère le tanuki (blaireau), encore aujourd’hui la terreur des femmes et des vieilles gens. Tous deux sont remarquables par la facilité avec laquelle ils revêtent à volonté la forme humaine. Tantôt ils sont associés, tantôt aux prises ensemble, luttant à qui tirera de sa gibecière les tours les plus fins, comme dans l’anecdote où, s’étant provoqués à qui prendrait le plus magnifique déguisement, le renard va attendre son adversaire au bout d’un pont, se promettant de le reconnaître sous tous les travestissemens. Vient à passer un daïmio en grand cortège. « Je te reconnais! » s’écrie le renard en s’élançant vers la litière; mais qui fut attrapé? ce fut maître renard, car le daïmio était un vrai prince japonais, qui fit étrangler le pauvre hère. Quelquefois le tanuki est représenté comme un modèle de dévoûment et de fidélité; mais le plus souvent c’est un fourbe dont les tours sont découverts et punis par les hommes qui en sont victimes.


V.

Ce n’est pas assez, pour vivre intellectuellement au foyer d’une famille japonaise, de savoir quels souvenirs classiques, quelles légendes, quels romans, quelles fables hantent ces esprits; il faut connaître encore la morale courante qui y est admise, comme pour voyager dans un pays il ne suffit pas d’en connaître la langue, si l’on ne sait en outre compter sa monnaie. Cette morale vulgaire et pratique donne, mieux encore que les œuvres d’imagination, la mesure des esprits et des cœurs. Nous devons à M. Turrettini la traduction de contes moraux à l’usage de tous, réunis au commencement de ce siècle sous le titre : Tami-no-nigiwai, l’activité humaine. On y trouve consignés les conseils de la sagesse médiocre et mondaine, tels que les écoute le plus volontiers un auditoire japonais. Nous nous bornerons à analyser rapidement les plus saillans.

Un homme se réveilla au son de l’horloge qui annonçait huit heures du matin ; mais en apercevant la lune et voyant qu’il n’était pas encore jour, il s’emporta contre l’horloge qui l’avait trompé. Celle-ci lui répondit : « Tu te plains sans raison ; si ton horloge va