se gardait si mal ? L’un des favoris de Stephens était à la solde du vice-roi, qui se sentait en mesure de cette façon de faire avorter le complot au moment opportun. Au commencement de 1865, lorsque la prise de Richmond mit fin à la guerre de sécession, les Irlandais enrôlés dans les armées fédérales, qui avaient pris la conspiration au sérieux, arrivèrent en masse en Europe. Chaque bateau à vapeur les amenait, ardens pour la lutte, disposés à poursuivre sur le sol natal la vie aventureuse à laquelle ils s’étaient accoutumés. Les journaux américains annonçaient qu’une révolution était imminente dans la patrie celtique, que 200,000 hommes avaient juré de prendre les armes au jour qui serait indiqué. En Irlande, dans les comtés du sud, les magistrats s’inquiétaient ; divers indices leur révélaient que le danger était proche. Le vice-roi résolut d’enrayer cette agitation par un acte de vigueur.
Avant de raconter les événemens qui vont suivre, il est utile de dire quelle était au juste la force des conspirateurs et ce que les gens paisibles en avaient à craindre. Par conviction, par entraînement patriotique ou par amour du bruit et de la lutte, un grand nombre de citoyens s’étaient affiliés au fenianisme. Quelques hommes turbulens attendaient avec impatience le signal d’une prise d’armes ; ils se croyaient d’autant plus près d’atteindre le but que Stephens avait reçu, personne ne l’ignorait, de grosses sommes d’argent destinées aux préparatifs d’une révolte. L’année précédente, il était retourné en Amérique et y avait recueilli quantité d’offrandes. Poussé à bout par ses complices, il leur promettait une insurrection dont il eût été fort embarrassé de donner le signal. En effet les sommes dont on le gratifiait étaient dissipées à mesure, car ses amis et lui aimaient à bien vivre. En fait d’armes, il avait ramassé quelques centaines de fusils hors d’usage et fort peu de cartouches. Des forgerons à sa solde fabriquaient des fers de lance que l’on distribuait dans les principaux centres. Il n’y avait pas de quoi tenir vingt-quatre heures devant un détachement de soldats réguliers. Ce n’est pas tout : la police suivait pas à pas les démarches des principaux chefs. Aucun d’eux ne pouvait se rendre dans les provinces, revenir du Nouveau-Monde ou visiter les grandes villes de l’Angleterre sans avoir quelque espion à ses trousses. Comment se fait-il donc que le vice-roi n’ait pas dispersé plus tôt ces conspirateurs présomptueux dont tous les secrets étaient connus ? C’est peut-être que les fenians étaient sans le savoir le jouet de politiques plus avisés. Les ministres anglais, partisans déterminés de la paix et résolus à s’abstenir de toute intervention dans les affaires européennes, évoquaient volontiers ce fantôme pour faire croire que la situation de l’Irlande réclamait tous leurs soins. De l’autre côté