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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/890

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Le 19 juillet, M. de Goltz arrivait dans le cabinet de M. Drouyn de Lhuys la figure défaite ; il maugréait contre M. de Bismarck et ses exigences, se plaignait de ses procédés, et parlait de lui envoyer sa démission. La tâche qui lui incombait était des plus fâcheuses; il n’approuvait pas les demandes qu’il était chargé de formuler, elles étaient contraires à ses idées et en désaccord, il le reconnaissait, avec ses déclarations antérieures. Mais ses instructions lui venant d’ordre du roi, il ne pouvait pas, bien qu’il lui en coûtât, ne pas les exécuter. Sa cour, disait-il, était grisée par les succès inespérés et écrasans remportés en Bohême, et M. de Bismarck, ce qui du reste n’était pas exact, au lieu de réagir contre cet enivrement, nous demandait de reconnaître le principe de la contiguïté des territoires. Il espérait néanmoins que le gouvernement de l’empereur, tenant compte des circonstances, faciliterait au roi les moyens de satisfaire aux exigences impérieuses de son armée et de l’opinion publique, qui ne manquerait pas de se retourner avec une grande véhémence contre ceux qui disputeraient à la Prusse le prix de ses victoires et de ses sacrifices. — En somme, il ne s’agissait que de quelques lopins de territoires, comportant à peine 300,000 habitans, dont l’électeur de Hesse, un souverain peu intéressant[1], exécré de ses sujets, serait particulièrement appelé à faire les frais. En même temps M. de Goltz tirait de sa poche une carte d’Allemagne pour démontrer au ministre des affaires étrangères qu’un peu de Hesse, un peu de Saxe et un peu de Hanovre, comblant les fâcheuses solutions de continuité qui existaient entre la vieille et la nouvelle Prusse, n’étaient certes pas de nature à préoccuper un grand pays comme la France ni à rompre l’équilibre de l’Europe.

— « Vous avez raison, répliqua M. Drouyn de Lhuys ; 300,000 âmes, c’est en effet peu de chose; mais le transfert d’une population à un autre gouvernement est une mesure trop grave pour n’avoir pas besoin d’être sérieusement débattue et consacrée par l’Europe. D’ailleurs vous ne pouvez pas avoir oublié ce que je n’ai cessé de vous dire, que toute annexion sur la rive droite du Rhin provoquerait inévitablement une annexion sur la rive gauche. » M. de Goltz ne se le fit pas répéter; mais, sans laisser au ministre le temps de rendre compte de l’entretien, il partait pour Saint-Cloud et se faisait, sans autre formalité, introduire par un chambellan dans le cabinet de l’empereur. Il savait que l’empereur reculait devant la perspective d’une grande guerre continentale qui s’imposerait à la France dans les plus fâcheuses conditions militaires. Le lendemain il revenait au quai d’Orsay, plein cette fois d’expansion et de jovialité. Il apprenait à M. Drouyn de Lhuys, surpris et déconcerté,

  1. Il était le cousin germain du roi.