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que l’empereur non-seulement avait reconnu le principe de la contiguïté des territoires, mais qu’il avait promis d’appuyer la reconnaissance des annexions du Hanovre, de la Hesse-Électorale, du Nassau et de la ville de Francfort, c’est-à-dire d’environ 4 millions 500,000 habitans. Il ajoutait d’un air narquois que sa majesté s’en remettait à des négociations ultérieures pour déterminer les compensations qu’il serait équitable de nous donner. Ainsi, M. de Bismarck avait posé un minimum et un maximum; M. de Goltz avait demandé d’abord le minimum, M. Drouyn de Lhuys l’avait refusé, et l’ambassadeur revenait de Saint-Cloud avec le maximum.

La démarche, incorrecte jusqu’à l’audace, que l’ambassadeur de Prusse avait faite à Saint-Cloud n’eût été tolérée dans aucune autre cour, surtout en un pareil moment. L’usage impose partout aux chefs des légations, et même aux ambassadeurs, l’obligation de solliciter des audiences, et ils ne sont généralement admis par les souverains qu’en présence de leurs ministres des affaires étrangères. Cette étiquette, très strictement observée à Berlin, où elle a été introduite par Frédéric II, et que le prince de Bismarck semble aujourd’hui vouloir étendre jusqu’à sa personne, tant ses rapports avec le corps diplomatique sont devenus rares et difficiles, a l’incontestable avantage de ménager la parole royale, de garantir les souverains contre les surprises et de leur laisser le loisir nécessaire pour peser et discuter leurs résolutions. Malheureusement on avait rompu avec ces vieilles et prévoyantes traditions. Les idées cosmopolites et les habitudes hospitalières qui prédominent à Paris avaient permis à certains agens étrangers de se créer une situation vraiment privilégiée, pour ne pas dire anormale. Comment ne pas les croire sur parole? A les entendre, la France était leur patrie de prédilection. Ils étaient heureux et fiers de sa prépondérance dans le monde, et il semblait qu’ils n’éprouvaient aucun scrupule à subordonner aux sympathies qu’ils affichaient les intérêts qu’ils avaient mission de défendre. Aussi les portes leur étaient-elles toutes grandes ouvertes. Ils étaient de toutes les fêtes, des petits lundis aussi bien que des chasses et des séries si recherchées de Compiègne et de Fontainebleau. Ils pouvaient ainsi, journellement, dans le contact de l’intimité, en choisissant bien leur moment, obtenir d’une nature aussi bienveillante que celle de l’empereur des assurances et des concessions, parfois en opposition ouverte avec les intérêts que défendait notre politique officielle. Il en résultait aussi que notre langage au dehors, trop souvent en contradiction avec celui des Tuileries, perdait beaucoup de son autorité. On a cité l’exemple du baron de Talleyrand protestant sur un ton de menace contre l’invasion des Marches, tandis que le comte de Cavour tenait dans sa poche le fa presto que M. Farini avait su arracher à l’empereur pendant les