Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/901

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la législation, chaque règne mettait en question les lois comme les institutions du règne précédent, en sorte que sous cette perpétuelle mobilité la notion même de loi semblait disparaître. En vérité il était difficile de donner un tel nom à un amas d’ordres et de contre-ordres, de décisions opposées et d’arrêts contradictoires, sans cesse modifiés et abrogés les uns par les autres.

Une législation aussi confuse et indécise réclamait impérieusement une codification, mais l’œuvre devenait plus difficile à mesure qu’elle devenait plus nécessaire. Catherine II nourrit ce grand projet, et elle en était peut-être plus capable qu’aucun de ses prédécesseurs ou successeurs, car elle apportait le plus souvent dans ses lois un esprit de suite étranger d’ordinaire au législateur russe. C’était pour préparer la confection d’un code qu’en 1767 la tsarine rassemblait à Moscou les représentans de toutes les provinces, de toutes les classes, de toutes les races et les religions de l’empire[1]. Les guerres de Turquie et de Pologne détournèrent l’impératrice de cette grande œuvre ; mais dans sa célèbre instruction pour la confection du nouveau code, Catherine II avait officiellement posé des principes de droit, des axiomes de justice, qui sous un tel patronage ne sont pas demeurés stériles pour le pays. Les projets de codification repris sous l’empereur Alexandre 1er ne furent exécutés que sous Nicolas à l’aide de Spéranski. L’empereur Nicolas est ainsi le Justinien de la Russie, et Spéranski, le fils de pope, en est le Tribonien.

Pour une telle œuvre, Nicolas comme Catherine avait le choix entre deux méthodes, entre la rédaction d’un code homogène, régulier, rationnel, tel que notre code Napoléon, et la simple réunion et classification des innombrables lois existantes. L’empereur Nicolas se borna à la tâche la plus facile, n’osant aspirer à la gloire tour à tour ambitionnée par Catherine et par Alexandre Ier[2]. C’était peut-être le parti le plus sage ; on ne pouvait guère mettre la Russie en possession d’un code nouveau et définitif avant que l’émancipation des serfs n’eût renouvelé la société russe.

La collection des lois recueillies par Spéranski sur l’ordre de l’empereur Nicolas (Sobranié zakonof) forme quarante-cinq volumes in-quarto où les lois de l’empire sont rangées par ordre chronologique, en commençant par l’Oulogénié du tsar Alexis. Ces lois fréquemment discordantes sont condensées et coordonnées systématiquement dans une sorte de somme du droit russe appelée Svod

  1. Voyez la récente Histoire de Russie de M. Alfred Rambaud, p. 476-477.
  2. L’empereur Alexandre Ier, en cela imitateur de sa grand’mère, avait commencé la rédaction d’un code civil, d’un code pénal, d’un code de commerce, dont une grande partie avait même été discutée au conseil de l’empire. Voyez Nic. Tourguénef : la Russie et les Russes, t. 111, p. 178.