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du jour que pour celui de la veille. À ce cumul simultané ou successif des fonctions les plus diverses, la séparation des pouvoirs allait mettre un terme. La réforme judiciaire devait y substituer le principe moderne de la spécialité des fonctions et des carrières. Désormais la Russie allait dans ses tribunaux voir siéger des juges.

Élevées selon les principes les plus rigoureux du droit moderne, les institutions judiciaires de la Russie ont une remarquable régularité et une noble symétrie. Aussi serait-il profondément regrettable qu’une altération partielle en vînt temporairement défigurer l’ensemble. De toutes les constructions de ce genre, il en est peu qui aient une aussi belle ordonnance. Le style a beau en avoir été emprunté à divers pays, le plan de l’édifice lui assure une incontestable harmonie. Ce qui fait l’originalité de ce plan, c’est la division des services judiciaires en deux sections mutuellement indépendantes et différant par le mode de nomination des juges autant que par l’étendue de leur juridiction. Il y a, comme en beaucoup d’autres pays, deux ordres de tribunaux, les justices de paix et les tribunaux ordinaires, les uns bornés aux petites affaires dont le règlement exige peu d’études juridiques, les autres connaissant des causes graves où sont en jeu la fortune, la réputation, la vie des habitans; mais en Russie, au lieu d’être superposées l’une à l’autre, ces deux justices forment deux séries parallèles, absolument distinctes et possédant chacune leurs cours d’appel comme leurs tribunaux de première instance. Ces deux séries isolées ne se rejoignent qu’à leur sommet, dans le sénat, qui tient le rôle de cour de cassation et qui, chargé de veiller au respect de la loi et des formalités légales dans les tribunaux de tout ordre, leur sert de trait d’union et est ainsi la clé de voûte de tout l’édifice.


III.

Un des principes fondamentaux de la réforme judiciaire, c’est l’égalité de tous les sujets du tsar devant la justice, c’est l’érection de tribunaux communs à tous les habitans de l’empire sans distinction d’origine ou de profession[1]. À cette règle en partie nouvelle, il y a cependant une exception qui intéresse la portion la plus considérable du peuple. Au-dessous de la double série de tribunaux institués par la réforme judiciaire persiste une justice antérieure et étrangère à la réforme, une justice qui conserve le caractère corporatif. Ce sont les tribunaux de bailliage ou de volost (volostnye

  1. Autrefois il n’en était pas ainsi. Dans les causes criminelles, par exemple, à côté du président et d’un conseiller nommé par le gouvernement siégeaient des délégués de la classe à laquelle appartenait le prévenu.