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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/913

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leur arrêt. Le domaine du droit coutumier et de la justice villageoise est ainsi moins étroitement circonscrit qu’il ne le semble au premier abord.

La compétence des tribunaux de volost n’est pas bornée aux affaires civiles; elle s’étend à certaines affaires criminelles, ou mieux correctionnelles, comme nous dirions en France. Les tribunaux de bailliage prononcent sur tous les délits de peu de gravité commis dans l’enceinte de la volost par des paysans sur des gens de même condition[1]. Parmi les délits soumis à ces assises villageoises figurent tous les actes contraires à une bonne police, tels que les disputes, les rixes, les désordres de toute sorte, l’ivrognerie, la mendicité. Ensuite viennent les délits contre la propriété, fraudes, abus de confiance et tout vol simple d’une valeur inférieure à trente roubles, puis les offenses aux personnes, injures, menaces, coups ou blessures légères. A côté de ces délits se rangent les infractions aux lois ou usages particuliers aux paysans sur le partage des terres communales ou les partages de famille, sur le domicile et les changemens de résidence. Cette justice patriarcale se trouve ainsi chargée de maintenir l’obéissance à l’autorité traditionnelle du mir et en même temps de maintenir le respect dû aux fonctionnaires de la commune, aux anciens de volost ou de village, aux parens, aux vieillards, et, selon le texte de la loi, à toutes les personnes dignes d’une considération particulière. À ce rustique tribunal revient le soin de faire respecter l’autorité domestique aussi bien que l’autorité du mir, de faire régner l’ordre et la paix dans le ménage comme dans la commune du moujik.

Les tribunaux de volost ont à protéger la liberté et la sécurité de la femme et des enfans, aussi bien que l’autorité du chef de famille. La loi leur confère le droit de punir les maris qui maltraitent leurs femmes. La brutalité maritale, vieux reste des mœurs du servage, étant un des principaux vices du moujik, les juges de volost rendraient à la famille du paysan un inappréciable service, s’ils y relevaient la dignité de la mère et de l’épouse[2]. Les procès domestiques

  1. Les habitans des autres classes, les propriétaires et les gens à leur service ne relèvent point des tribunaux de volost, pas plus que de l’autorité de l’ancien de village. Certains membres de la noblesse ont voulu s’autoriser de cette exemption pour réclamer en faveur des grands propriétaires un droit de justice ou de police sur leurs terres, disant qu’aujourd’hui d’immenses domaines de plusieurs centaines de verstes carrées restent sans aucune police. Selon certains membres de la noblesse de Saint-Pétersbourg, la parité entre le paysan et le propriétaire exigerait que ce dernier fût investi d’un droit de police domaniale. Sur ces prétentions exprimées naguère dans l’assemblée de la noblesse de Saint-Pétersbourg, nous pouvons renvoyer à l’intéressante étude de M. Dmitrief, Revolutsionny conservatizm, p. 101, et aussi à la Revue du 1er août 1876 et du 15 août 1877.
  2. Voyez à cet égard, dans la Revue du 1er novembre 1876, l’étude ayant pour titre : le Paysan russe, la famille patriarcale et le communisme agraire.