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goût classique, a-t-elle été depuis beaucoup plus loin que dans ce premier essai de ses forces? Sans doute les philosophes ne dirigent pas encore l’opinion souverainement. Ils la provoquent tout au moins et déjà commencent à lui donner ce qu’elle ne pouvait tenir que d’eux seuls, cette forme dogmatique qui soulage la mémoire et ces contours arrêtés que la vertu du style était seule capable de lui imposer. Si ce ne sont pas encore les grands noms de l’histoire littéraire, si ce ne sont pas encore les chefs, si ce n’est pas le gros de l’armée philosophique, c’en sont du moins les éclaireurs, l’avant-garde et les trompettes.

Il est vrai que l’opposition janséniste n’est pas seulement religieuse, elle est aussi parlementaire, c’est-à-dire politique. En effet, toutes les fois que la nécessité surgit, comme alors, de déterminer la limite, toujours flottante, du temporel et du spirituel, il est inévitable que l’on remonte plus tôt ou plus tard, mais toujours, à l’origine « des deux puissances, » — c’est l’expression du temps, — qu’on en discute les attributions, la juste étendue, la légitime autorité. Certes, ni le régent, ni Dubois n’étaient hommes à se soucier beaucoup des jansénistes ou des constitutionnaires, et j’imagine que rien au monde ne leur était plus indifférent que l’orthodoxie du P. Quesnel, si ce n’est le bien de l’état. Mais Dubois voulait le chapeau de cardinal, et le régent avait commis la première imprudence de réveiller les ambitions usurpatrices du parlement de Paris, en lui rendant une ombre de pouvoir politique. On ne fait pas casser gratis un testament royal. Janséniste par tradition, défenseur ne de ce que l’on appelait les « libertés de l’église gallicane, » le parlement devint donc à la fois, contre les évêques atteints de la maladie du chapeau, « qui les rendait fous pour la plupart, » la forteresse des opposans à la bulle, des anticonstitutionnaires, et, par le fait même, contre l’autorité royale un défenseur inattendu des droits de la nation.

L’histoire détaillée de cette lutte peut avoir, bien qu’ingrate, son intérêt de curiosité; mais ce qui importe ici, c’est plutôt de marquer, à travers les phases de la querelle, le progrès des idées de résistance et d’insoumission au pouvoir. D’un côté, c’est l’épiscopat revendiquant l’indépendance absolue de l’église. L’évêque de Soissons, constitutionnaire, signifie publiquement aux magistrats « que l’église est au-dessus de leurs arrêts et qu’il ne leur appartiendrait pas de le juger, même pour un crime de lèse-majesté. » On peut penser que sur ce terrain, les prélats ennemis se retrouvent d’accord. L’évêque de Montpellier, janséniste, déclare que, « bien loin que les évêques dussent se soumettre dans l’ordre spirituel à la volonté des princes, c’était aux évêques à rendre compte des rois mêmes au