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si troublées, de 1748 à 1756, que la plupart des historiens nous représentent comme les plus paisibles et les plus prospères du règne. On pourrait multiplier les citations, on en trouverait de très curieuses, — et que je ne sais pas pourquoi M. Rocquain a négligées, — dans le livre de M. Aubertin. Celles-là suffiraient à la démonstration de la thèse : par malheur — pour la thèse — on omet quelques remarques essentielles.

Et d’abord ce serait rendre un grand service à l’histoire, ou plutôt ce serait la renouveler dans quelques-unes de ses parties que de faire, une bonne fois, la critique de ces mémoires, journaux et correspondances qui, pour quelques révélations très curieuses qu’ils nous ont apportées, ne laissent pas peut-être d’avoir plus souvent altéré que « restitué, » — c’est le mot à la mode, — la vraie physionomie des hommes et des choses. Il faut voir de haut et de très haut pour oser s’en tenir au jugement de Voltaire sur le siècle de Louis XIV, — qui est le vrai, qui est le bon, — quand on vient d’achever, si toutefois on en a eu le courage, la lecture de Saint-Simon ou des lettres de Madame, duchesse d’Orléans. Je ne dis pas que les Mémoires de D’Argenson, ou le Journal de Barbier soient de ces documens douteux que l’on ne puisse, que l’on ne doive consulter qu’avec défiance. Encore y faut-il quelques précautions. Les témoins oculaires ne sont pas toujours les mieux renseignés qu’il y ait ni le plus exactement sur les événemens mêmes auxquels ils assistent. Ils parlent avec une assurance qui en impose, mais ils voient petit, ils voient faux, ils voient court. Quand on se sent près de succomber sous l’énorme amas de matériaux que d’infatigables éditeurs, avec une inconcevable opiniâtreté, rendent à la lumière du jour, — les huit volumes de Barbier, les neuf volumes de D’Argenson, les dix-sept volumes du duc de Luynes, — on est tenté d’appeler les témoins oculaires la peste de l’histoire. Nous devenons aussi par trop curieux du petit côté des choses, et nous nous donnons beaucoup de mal, et nous perdons beaucoup de temps, pour n’aboutir en fin de compte qu’à perdre de vue les grandes lignes de la perspective historique. Eh quoi ! parce qu’il aura plu jadis à quelque bourgeois désœuvré, chaque soir que Dieu lui donnait, de mettre à sa plume la bride sur le cou, sa compilation prendra rang parmi les documens historiques, nous le consulterons comme une autorité, nous l’écouterons comme un oracle et nous jetterons à mains pleines sa prose dans l’histoire d’un grand siècle ! Voilà justement l’avocat Barbier, honnête homme sans doute et certainement incapable de rien inventer, mais crédule, mais pesant, mais borné. Dans l’histoire qui se fait sous ses yeux, en sa qualité d’avocat, satellite du parlement, il ne voit que l’histoire