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parlementaire. Qui ne craindra sagement que nous ne grandissions outre mesure, sur sa parole, l’importance d’une lutte qui n’est pas, après tout, elle seule toute l’histoire du XVIIIe siècle?

Pour D’Argenson, c’est autre chose : D’Argenson, mêlé par tradition de famille, par sa naissance et par son rang, par profession enfin, à la plupart des événemens de son temps, est un homme d’affaires, c’est presque un homme d’état, c’est à coup sûr un prophète, un voyant d’une pénétration singulière. Mais précisément, quand tant d’idées, — bizarres jusqu’à la chimère, — qui se rencontrent au cours de ses Mémoires ne nous mettraient pas en garde contre son imagination, il faudrait faire une observation : c’est que dès le lendemain de sa chute, D’Argenson s’aperçoit fort bien que le vent a tourné, qu’il souffle d’Angleterre, chargé, comme il le dit, u d’antimonarchisme et d’antirévélation. » Quand il consigne sur son journal ces sombres prophéties que nous citions tout à l’heure, il ne manque pas de faire sa part au « matérialisme, » c’est-à-dire à la philosophie nouvelle, dans l’œuvre d’universelle dissolution à laquelle il assiste. Et l’on croirait presque, en vérité, qu’à ses yeux, jusqu’à l’apparition de l’armée philosophique sur le champ de bataille, ni le trône ni l’autel surtout n’ont couru de sérieux dangers. C’est qu’aussi bien toutes les oppositions ne sont pas également dangereuses. Nous pouvons comparer l’opposition parlementaire à ces oppositions dynastiques ou constitutionnelles qui seraient l’âme même des gouvernemens libres, si l’on en croit les théoriciens. Et de l’opposition janséniste, nous pouvons répéter la célèbre parole : Oportet hœreses esse, qu’il faut des hérésies pour ranimer les croyances qui sommeillent, pour rendre plus compact ce grand corps de la catholicité dont « l’amertume la plus amère et la plus douloureuse est dans la paix. » Mais, lorsque les oppositions contestent le principe même du gouvernement qu’elles attaquent, quand elles ne vont à rien moins qu’à détruire de fond en comble les sociétés politiques, — laissant d’ailleurs à d’autres le soin de les reconstruire, — c’est alors qu’elles deviennent véritablement menaçantes et que les révolutions se préparent. Or est-il vrai que les philosophes soient les premiers du XVIIIe siècle qui aient pris ce qu’on appellerait aujourd’hui ce rôle u d’irréconciliables et d’intransigeans? » A la question posée dans ces termes, il n’y a pas deux réponses.

C’est ce qu’avait clairement vu M. Aubertin dans son livre sur l’Esprit public au dix-huitième siècle. Il commençait par attirer l’attention sur cette opposition janséniste et parlementaire de la première moitié du siècle. Il en expliquait en deux mots l’origine, il en montrait la vivacité, quelquefois la violence, il lui rendait dans