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seule, par ses élus librement, sagement désignés, sans acception de parti, de classe, d’origine, ne les cherchant ni en haut, ni en bas, ni à droite, ni à gauche, mais dans cette lumière de l’est-me publique où les caractères se dessinent en traits impossibles à méconnaître, et les choisissant avec cette liberté dont on ne jouit qu’au sein de l’ordre, du calme et de la sécurité… » La phrase est un peu longue, elle contient tout dans ses savantes nuances, elle résume l’idéal d’un gouvernement de libérale sagesse, de prudente expérience dans un vieux pays éprouvé par toutes les révolutions, attristé par le malheur, où il s’agit de rassurer, de concilier, non de diviser et d’opprimer.

Et bien peu après, que disait à son tour le garde des sceaux de M. Thiers, M. Dufaure lui-même, dans des circonstances qui ne différaient pas beaucoup de la circonstance où nous sommes, dans une situation où il rencontrait aussi devant lui M. Gambetta, après un autre discours de Grenoble ? M. Dufaure mettait autant de soin que le chef du gouvernement à préserver la république de ses dangereux amis, de ceux qui semblent n’aspirera conquérir une majorité que pour exercer une domination « xclusive de parti, pour déchahier des agitations qu’ils ne seraient pas toujours maîtres de contenir, u Je me permets, disait-il, de reprocher à mes honorables contradicteurs de trop identifier avec eux, dans leurs discours, le pays d’un côté, la république de l’autre… Je me permettrai de leur dire un seul mot : savez-vous ce qui nous crée une difficulté pour le gouvernement que nous exerçons sous le nom de la république française ? Le voici, ce n’est pas la forme de gouvernement, c’est le mot de république. Dans notre longue histoire, il a toujours paru accompagné d’agitations permanentes, de prétentions toujours nouvelles, d’ambitions sans cesse croissantes, comme si toute république était un état turbulent, aspirant à passer des belles et grandes institutions de 1789 à celles de 1792, et de celles de 1792 à celles de 1793 pour se perdre ensuite dans le sang. Voilà le malheur attaché à ce nom, et je dis que tout homme politique qui a l’honneur, même un moment, de participer à un gouvernement auquel vous avez donné le nom de république française, doit s’attacher à montrer la république absolument étrangère aux agitations auxquelles on la croit destinée… »

Voilà les conditions que rien ne peut changer ni obscurcir, qui resteront impérieusement vraies après les élections comme elles le sont avant, comme elles l’étaient à l’époque où M. Thiers et M. Dufaure faisaient entendre dans la dernière assemblée le langage de l’expérience, du patriotisme prévoyant. Voilà le programme qui s’impose au prochain scrutin et dont on ne pourrait se départir le lendemain, dans une ivresse de succès, sans remettre immédiatement en doute tout ce qui a été conquis depuis huit ans par des efforts incessans de modération et de sagesse.