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et ce qui ne sent point n’est rien pour nous. — La mort n’est rien pour nous ; car tout bien et tout mal réside dans le pouvoir de sentir ; mais la mort est la privation de ce pouvoir. — Le sage ne s’inquiète point de la longueur de la vie qui lui reste à vivre. Il faut se rappeler que le temps avenir n’est ni nôtre, ni tout à fait étranger à nous, afin que nous ne l’attendions point à coup sûr comme devant être, et que nous n’en désespérions point comme ne devant absolument pas être. — Insensé celui qui dit qu’il craint la mort, non parce qu’une fois présente elle l’affligera, mais parce qu’encore future elle l’afflige ; car ce qui, une fois présent, n’apporte pas de trouble, ne peut, étant encore à venir, affliger que par une vaine opinion. » — Rappelons enfin cette pensée maîtresse qui résume toutes les autres et sur laquelle toute l’antiquité épicurienne a vécu : « Lorsque nous sommes, la mort n’est pas ; lorsque la mort est, nous ne sommes plus. Elle n’est donc ni pour les vivans, ni pour les morts ; car pour ceux qui sont, elle n’est pas, et ceux pour qui elle est né sont plus. » Ce qu’on a ingénieusement traduit dans ce vers :

Je suis, elle n’est pas ; elle est, je ne suis plus.


L’esprit dialectique de Cicéron s’enchante de ces subtilités ; c’est le fond du raisonnement qui remplit le premier livre des Tusculanes. Cicéron, qui s’est tant moqué d’Épicure, est rempli de réminiscences épicuriennes. Il traduit à sa manière ces maximes quand il écrit : Si post mortem nihil est mali, ne mors quidem est malum ; cui proximum tempus est post mortem, in quo mali nihil esse concedis : ita ne moriendum quiclem esse maliim est ; id est enim, perveniendum esse ad id, quod non esse malum confitemur, — « Si la mort n’est suivie d’aucun mal, la mort elle-même n’en est pas un ; car vous convenez que dans le moment précis qui lui succède immédiatement il n’y a plus rien à craindre, et par conséquent mourir n’est autre chose que parvenir au terme où, de votre aveu, tout mal cesse. » Il traduit encore Épicure lorsque, dans le même livre, il raille le souci exagéré des rites, des cérémonies funèbres, de la sépulture même ; il rappelle Diogène demandant qu’on le jette, quand il sera mort, n’importe où. « Pour être dévoré par les vautours ? demandent ses amis. — Point du tout ; mettez auprès de moi un bâton pour les chasser. — Et comment les chasser, ajoutent ses amis, quand vous ne sentirez plus rien ? — Si je ne sens plus rien, répond Diogène, quel mal me feront-ils en me dévorant ? » L’autorité de cet argument fut telle dans l’antiquité qu’elle s’imposa aux adversaires même, comme Cicéron, qui le répète à satiété, et les stoïciens, Sénèque en particulier, qui lutte d’éloquence