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amicales; le doute n’était plus permis; l’annexion des 4 millions d’habitans ne serait consacrée qu’en échange d’une compensation, c’est-à-dire d’une rectification de frontières. Il est vrai que sur ce dernier point, on ne précisait rien, on se contentait de poser le principe, s’en remettant pour le reste aux entretiens de M. Benedetti avec M. de Bismarck.

Cette mise en demeure n’avait qu’un tort, celui d’être tardive et de ne pas s’appuyer sur une armée concentrée sur le Rhin dès les premiers jours de juillet. On était au 4 août, et la bataille de Sadowa s’était livrée le 2 juillet; l’armistice était signé, les munitions et les approvisionnemens avaient été renouvelés, les réserves accouraient et doublaient la force numérique de l’armée prussienne; l’Italie nous échappait et les envoyés du midi allaient arriver à Berlin pour implorer la paix. D’ailleurs nos hésitations ne révélaient-elles pas nos défaillances morales et notre faiblesse militaire? M. de Goltz en savait long à ce sujet, et l’on peut croire qu’il n’effrayait pas sa cour sur les conséquences qu’aurait une fin de non-recevoir. Au surplus il ne se tenait pas pour battu, il lui restait un dernier recours; il prit le parti de s’adresser à M. Rouher, dans l’espérance que son intervention auprès de l’empereur serait décisive.

M. Rouher, par la nature de ses fonctions, avait acquis une prépondérance marquée dans la direction de la politique, et les diplomates, qui vont toujours chercher l’influence déterminante où elle est, ne faisaient souvent que traverser le cabinet du ministre des affaires étrangères, pour arriver plus vite dans celui du ministre d’état. M. de Goltz y mettait personnellement une affectation calculée, avec l’arrière-pensée de provoquer des tiraillemens et d’établir un antagonisme dont il espérait tirer parti. M. Rouher, ayant à défendre la politique impériale devant les chambres, devait nécessairement être tenu au courant des négociations; d’ailleurs la confiance toute particulière qu’il inspirait à l’empereur, et que justifiaient son grand talent et l’intégrité de son caractère, l’autorisait pleinement à se prononcer dans une occurrence aussi grave. Mais son action, s’exerçant en dehors du conseil, ne pouvait avoir que des inconvéniens. C’était rendre le jeu facile aux agens étrangers que de leur permettre de recourir aux influences si multiples qui travaillaient alors la cour des Tuileries. Il y avait là un déplacement, pour ne pas dire un éparpillement de responsabilités, dangereux pour notre politique, laquelle, sans qu’on s’en rendît compte, subissait tour à tour et souvent tout à la fois la pression des diverses coteries. Notre diplomatie dut nécessairement en ressentir le contre-coup, si bien qu’elle en était arrivée à manifester des préférences, et que, faute d’une pensée dirigeante unique et résolue,