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même, à certains momens, le pays de la Moselle[1]. Au lendemain de Sadowa, il ne pouvait plus être question de territoire prussien, ni même de Mayence, à moins d’une action diplomatique rapide et décidée, soutenue par une armée d’au moins cent mille hommes, concentrée sur le Rhin,

Si notre ambassadeur, le 12 juillet, au quartier général de Zwittau, s’était trouvé muni d’instructions et des pouvoirs nécessaires, M. de Bismarck eût encore signé sur l’heure un traité d’alliance nous assurant la Belgique et le Luxembourg; il ne nous demandait en échange que de reconnaître le principe de la contiguïté des territoires; peut-être même eût-il été Jusqu’à concéder le Palatinat, si nous avions laissé la Prusse libre de franchir le Mein et d’user de ses victoires en Allemagne au gré d’une ambition qui n’eût respecté ni la Saxe, ni même la Bohême et la Moravie. Il avait alors l’intérêt le plus pressant à s’entendre avec nous; il redoutait le congrès et prévoyait que sa situation deviendrait périlleuse si la France, désabusée, devait brusquement se retourner vers la Russie. Les sacrifices s’imposaient, et son langage montrait qu’il était prêt à les subir. « Les revers de l’Autriche, disait-il, permettent à la France et à la Prusse de modifier leur état territorial, » et il ajoutait qu’en se liant par des engagemens solennels elles n’auraient à se préoccuper ni de l’Angleterre ni de la Russie. Il n’a pas dépendu de lui qu’il ne fût pris au mot.

A Nikolsbourg, M. de Bismarck était déjà en mesure de résister et de négocier dilatoirement. Il était assuré de la résignation de l’Autriche et de notre impuissance en Italie. Il n’avait plus d’illusion sur notre situation morale et militaire, d’ailleurs il se trouvait en possession de la promesse arrachée à l’empereur par M. de Goltz d’appuyer les annexions jusqu’à concurrence de quatre millions d’habitans. Il ne lui restait plus qu’à conjurer un dernier péril : le congrès.

Mais ce qui était possible au quartier général ne devait plus l’être après le retour à Berlin. Les préliminaires étaient signés et ratifiés; l’armée, pour se reconstituer, avait largement profité des longs répits que lui avaient laissés les pourparlers de la diplomatie, et déjà elle se portait vers le Rhin; le général de Manteuffel était parti pour Pétersbourg avec notre projet de traité, et l’exaltation du patriotisme prussien, habilement entretenue, devenait pour M. de Bismarck une force et un argument sans réplique.

  1. « M. de Bismarck m’a dit spontanément qu’il ne croyait pas impossible de décider le roi à nous abandonner les bords de la Moselle, la province de Trêves, qui jointe au Luxembourg redresserait notre frontière de manière à nous donner toute satisfaction. » (Benedetti, dépêche du 4 juin 1866.)