Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dogmatique de Calvin, auraient été mis en demeure de fermer leurs écoles. Se fussent-ils gardés prudemment de prêcher leurs doctrines à la jeunesse, il aurait été facile d’établir que leurs méthodes étaient propres à pervertir le jugement, que leur arithmétique trahissait une préoccupation intéressée, que leur orthographe n’était pas assez démocratique, que leur ponctuation était rétrograde, que leur grammaire mettait en danger la sécurité du pays. Un des acolytes de M. Carteret a déclaré un jour que la liberté de l’enseignement consiste à protéger l’école non contre l’arbitraire de l’état, mais contre l’obscurantisme, et pour le Caucus quiconque nie que la démocratie autoritaire soit le dernier mot de l’art du gouvernement est un obscurantiste. Ces messieurs se prennent de bonne foi pour le soleil.

La constitution genevoise de 1847 garantit la liberté de l’enseignement de tout ordre à tous les Genevois sous la seule réserve « des dispositions prescrites par les lois dans l’intérêt de l’ordre public et des bonnes mœurs. » À cette réserve, les auteurs du projet de révision en ajoutaient une autre, en subordonnant l’exercice d’un droit constitutionnel « aux dispositions réglementaires » qui pourraient être prises, et voilà encore un point qui a donné beaucoup à penser aux électeurs. Le Journal de Genève, qui a fait une vigoureuse campagne contre le projet, a remarqué que dans de nombreux articles le règlement, c’est-à-dire la simple volonté du pouvoir exécutif, était mentionné au même titre que la loi, pour fixer les limites dans lesquelles les libertés particulières pouvaient s’exercer. Il a remarqué aussi que les lois sont publiquement discutées et votées sous les yeux du pays, sous le contrôle de la presse, que les règlemens sont élaborés à huis clos, qu’ils n’ont rien de fixe ni de stable, qu’ils peuvent être modifiés au gré des circonstances, qu’abandonner à la discrétion d’un règlement les libertés reconnues aux citoyens par la constitution, c’est transformer des droits précis en jouissances à titre précaire et autoriser le gouvernement à interpréter la constitution comme il l’entend. En Russie, les conseillers chargés de préparer une loi soumettent à l’empereur, après avoir terminé leur travail, le procès-verbal de leurs délibérations; ils lui présentent, rangées en deux colonnes, les conclusions de la majorité et de la minorité. L’empereur examine, réfléchit, et, si les conclusions de la minorité, fût-elle de 2 contre 20, lui paraissent préférables, il écrit au-dessous des signatures ces deux mots sacramentels : Et moi. Ces deux mots sont décisifs, et la Russie possède une loi de plus. M. Carteret n’a pas osé recommander cette méthode au peuple genevois; celle dont il s’est avisé est plus compliquée, mais elle ne laisse pas d’être commode. S’il avait réussi à la faire adopter et que par impossible son grand-conseil, dans un accès d’indépendance, eût voté une loi qui pût