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le gêner ou nuire à sa situation, il en aurait été quitte pour la corriger par un règlement.

Avec un règlement bien fait, quelle liberté publique ne peut-on pas étrangler? En Espagne, du temps de Figaro, pourvu qu’on ne parlât de rien ni de personne, on pouvait tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. L’Espagne de Figaro jouissait de la liberté de la presse tempérée par un règlement. Nous ne soupçonnons pas M. Carteret de vouloir réduire la presse genevoise à de si cruelles extrémités. Si vives que soient les impatiences que lui causent les épigrammes du Journal de Genève, aucun journaliste ne saurait lui reprocher jusqu’aujourd’hui d’avoir brisé sa plume ou de lui avoir assigné un logement « dans un de ces appartemens d’une extrême fraîcheur, où l’on n’est jamais incommodé du soleil. » Les Genevois sont libres d’écrire tout ce qui leur plaît; ils peuvent insinuer impunément que les membres du Caucus ne sont pas tous des hommes de génie ; il leur est même permis d’avancer que M. Carteret a eu tort de se dégoûter de la littérature pour se consacrer tout entier à la grande politique, et que s’il avait pris quelques arrêtés de moins et composé quelques fables de plus, tout le monde s’en serait bien trouvé. Mais qui peut dire où s’arrêtent les entraînemens de la démocratie autoritaire et d’une tyrannie qui s’exerce au nom du peuple? Le lion qui a bu du sang en veut boire encore, et les gouvernemens qui contractent des habitudes discrétionnaires considèrent toute résistance qu’on oppose à leurs fantaisies comme une intolérable oppression. Heureusement le peuple de Genève a fait comprendre à ses gouvernans qu’il goûtait peu leurs doctrines, que les libertés publiques lui sont chères, qu’il veut être administré par des lois et qu’il n’est pas d’humeur à subir ce régime politique qu’on peut appeler le régime réglementaire.

Le 6 octobre, le peuple genevois n’a pas seulement condamné l’abus des règlemens et la démocratie jacobine; il a rendu aussi un vote de défiance à l’égard de la politique religieuse de son gouvernement et de la lutte pour la civilisation, du Kulturkampf qui fleurissait ou sévissait à Genève plus qu’ailleurs. « L’état, lisons-nous dans une brochure antirévisionniste, tend de plus en plus à se constituer à la fois en évêque de l’église protestante et de l’église catholique; c’est aller au rebours des aspirations modernes, et le peuple de Genève est fatigué de campagnes théologiques qui ne sont heureusement plus dans l’esprit de notre siècle. Nous sommes une nation laïque, entièrement étrangère dans notre vie politique à toute préoccupation doctrinale; notre constitution n’a que faire de mesurer par doses la nourriture spirituelle qui doit être distribuée aux membres des églises. Notre grand-conseil n’a reçu à cet effet aucun mandat des électeurs, et il importe de lui signifier catégoriquement que le terme de sa mission théologique est