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tourne du vrai but, on déconcerte l’opinion, et on épuise dans de vaines querelles, dans des luttes passionnées des forces qui pourraient être consacrées à des travaux sérieux, à des réformes utiles. On finit par n’avoir plus qu’une autorité suspecte le jour où il s’agit d’aborder des questions délicates dont la solution ne peut être qu’une œuvre de maturité et de réflexion.

Que dans le cadre mobile et animé de la vie publique il y ait place pour toutes les opinions, même pour les idées les plus hardies, et qu’une majorité encore assez novice dans son rôle ait ses incohérences inévitables, c’est tout simple. Encore faut-il que l’animation des partis ne dégénère pas en stérile désordre et que la majorité, par ses divergences, par ses discordances, ne rende pas tout impossible. C’est l’œuvre des chefs de partis de donner à cette majorité la cohésion, une direction ; c’est surtout au gouvernement, au ministère, de prendre en quelque sorte la tête du mouvement, de régler la marche, de donner le signal par son initiative dans toutes les questions, et ici en vérité le ministère n’a pas à chercher bien loin pour trouver cette politique qui est la nécessité du moment, qui s’égare trop parfois dans les polémiques et les agitations des partis. Les membres du cabinet n’ont qu’à reprendre les discours qu’ils ont prononcés depuis quelque temps, ils y trouveront l’esprit, les inspirations, les règles d’un gouvernement libéral, prudent et modéré. Le ministère n’a qu’à le vouloir, il n’a qu’à se présenter devant les chambres, allant droit aux difficultés, aux questions parasites dont on peut l’embarrasser, acceptant sans hésiter la responsabililé de ces idées de modération et de conciliation que M. le ministre des travaux publics n’a cessé de développer cet été avec une si séduisante éloquence. Le ministère y gagnera l’ascendant, la sécurité pour lui-même, et le meilleur service qu’il puisse rendre à la république, au début d’une session nouvelle, c’est de lui donner la fixité, l’autorité d’une politique à la fois libérale et conservatrice devant laquelle toutes les incertitudes disparaissent.

Après tout, ce n’est pas peut-être en France qu’il y a aujourd’hui les difficultés les plus dangereuses et que les questions les plus graves s’agitent, sans attendre la fin de l’exposition. La vérité est qu’à voir la manière dont le traité de Berlin s’exécute et les résultats qu’il produit, on peut se demander ce qui restera bientôt de cette œuvre des sages de la diplomatie. Il restait d’abord la paix, la paix reconquise après la dernière guerre d’Orient. Aujourd’hui ce qui reste de cette paix ressemble étrangement à une menace de guerre sous toutes les formes et sur tous les points. L’Angleterre est plus que jamais à la veille d’un conflit dans l’Afghanistan ; elle y marche résolument, non sans une certaine inquiétude, et ce conflit dans l’Afghanistan n’est évidemment qu’un épisode ou un appendice imprévu de la grande querelle orien-