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tale ; mais ce qu’il y a de plus grave en ce moment, c’est ce qui se passe dans les provinces européennes de la Turquie, autour de Constantinople, dans la Bulgarie, dans cette province prétendue autonome à laquelle lord Beaconsfield a voulu donner le nom de Roumélie orientale. En réalité, la Russie, après avoir paru un moment subir le traité de Berlin, semble résolue à interpréter ce traité à sa guise et à reprendre toute sa liberté. Elle a réoccupé ses positions militaires autour de Constantinople. Elle organise à sa façon la Roumélie sans s’inquiéter de l’Europe ; mais ici, c’est visiblement l’affaire de tout le monde. La question est de savoir si la Russie pourra aller jusqu’au bout sans contestation, si elle ne rencontrera pas sur son chemin la résistance combinée des puissances qui ont coopéré avec elle au traité de Berlin, et qui tiendront peut-être à maintenir cette dernière garantie de l’indépendance de l’Orient.

Il y a en vérité des momens où l’atmosphère politique semble infestée d’une triste contagion de meurtre. Comme si le désordre qui a envahi l’Europe devait prendre toutes les formes, voilà en peu de temps, plusieurs attentats contre des souverains. Il y a quelques mois, à peu de jours d’intervalle, en pleine promenade de Berlin, deux tentatives d’assassinat mettaient en péril la vie de l’empereur Guillaume, qui se relève à peine des blessures reçues d’une main allemande. Les assassins n’ont respecté ni la gloire, ni l’âge du vieux prince qui a fait l’Allemagne ce qu’elle est. Hier c’était le tour du jeune roi d’Espagne, qui a été l’objet d’une tentative cruellement préméditée, froidement accomplie et heureusement impuissante.

Le roi Alphonse venait de visiter une partie de l’Espagne et d’assister à des manœuvres militaires dans les provinces du nord ; il rentrait à Madrid au milieu de la population accourue sur son passage, lorsque dans une des principales rues il a essuyé un coup de feu qui ne l’a point atteint et qui, par grand hasard, n’a fait aucune victime. L’auteur de cette triste tentative est un jeune homme obscur de la province de Tarragone, ouvrier de profession ; il n’a pas tardé à être pris dans la foule, et il n’a désavoué ni le crime, ni l’intention qui l’avait conduit sur le passage du roi. C’est encore un de ces esprits pervertis par les propagandes démagogiques, un déplorable émule de Hœdel et de Nobiling, un « internationaliste, » à ce qu’il paraît. Quelle est donc cette race violente qui ne procède que par le meurtre et que rien ne désarme ? Assurément, le roi Alphonse n’a rien fait pour exciter la haine. C’est un jeune homme, presque un adolescent, déjà éprouvé par un deuil cruel et gardant cette candeur de tristesse qui inspire la sympathie. Il n’est arrivé au trône que pour rendre la paix intérieure à l’Espagne, pour la délivrer de la guerre civile, de l’absolutisme et de l’anarchie. Dans un règne qui date à peine de quelques années, il n’a montré qu’un es-