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infinie d’infiniment petits vivans. La pourriture est comme le résultat de l’alimentation d’innombrables parasites; elle est un témoignage de la désorganisation dernière de la matière morte. Quand un organisme tombe en réelle pourriture, c’est qu’il ne produit et ne crée plus rien; il n’y a plus en lui cette mort solidaire et révélatrice des actes vitaux; il est simplement dévoré molécule à molécule. Quand la vie créatrice a cessé, le travail des échanges moléculaires s’arrête. La matière organisée et morte se maintient inaltérable lorsqu’elle est à l’abri de l’air, ou en contact avec de l’air pur, non chargé de parasites. Ce sont ceux-ci qui introduisent la destruction de la matière morte ; ce n’est pas cette matière qui se détruit elle-même. A quelque point de vue qu’on se place, la vie n’est donc pas une pourriture.

La création vitale, la synthèse organique, Claude Bernard la réduit à deux termes principaux : la production de la matière vivante primordiale, du protoplasme, base organique de la vie; et la forme imprimée à cette matière vivante, qui l’isole et en fait l’individu vivant. Ce n’est pas la cellule à forme déterminée qui est la base première de la vie; c’est le protoplasme, substance sans forme propre, masse gélatineuse et albumineuse. Dans cette matière amorphe, ou plutôt monomorphe, réside la vie, mais la vie non définie; l’on y retrouve toutes les propriétés essentielles dont les manifestations des êtres supérieurs ne sont que des expressions diversifiées et définies, des modalités plus hautes. Le protoplasme seul n’est que la matière vivante; il n’est pas réellement un être vivant. Il lui manque la forme qui caractérise la vie définie. L’être vivant est un protoplasme façonné; il a une forme spécifique et caractéristique. Il y a l’être vivant idéal, réduit à la substance, dépourvu de toute forme spécifique; et l’être vivant réel, façonné, apparaissant avec un mécanisme, une forme spécifique. Le protoplasme supporte la vie dans tous les êtres vivans, dans le règne végétal comme dans le règne animal; il est partout identique à lui-même, malgré la diversité infinie des êtres.

Le protoplasme peut-il à lui seul constituer des êtres vivans, possédant la vie nue, en dehors de toute forme spécifique? L’être idéal existe-t-il aussi bien que l’être réel? La distinction entre les deux êtres serait-elle vaine? L’idéal et le réel, le déterminé et l’in- déterminé posséderaient-ils même puissance et même existence? Claude Bernard semble le croire, sur la foi de quelques naturalistes allemands, et malgré le langage que nous venons de rappeler, et qui va contre de telles croyances. Il accepte comme être vivant cette matière gélatineuse informe retirée du fond de la mer, et à laquelle Huxley a imposé le nom de bathybius Hœckelii. Or ce bathybius semble n’être qu’un précipité gélatineux de sulfate de