possible de nous rattacher à un système philosophique? On pourrait être tenté de nous comprendre parmi les matérialistes ou physico-chimistes. Nous ne leur appartenons point. Car, envisageant l’état actuel des choses, nous admettons une modalité spéciale dans les phénomènes physico-chimiques de l’organisme. — Sommes-nous parmi les vitalistes? Non encore, car nous n’admettons aucune force exécutive en dehors des forces physico-chimiques. — Sommes-nous enfin des expérimentateurs empiriques, qui croyons, avec Magendie, que le fait se suffit et que l’expérimentation n’a pas besoin d’une doctrine pour se diriger? Pas davantage; nous trouvons, au contraire, qu’il est nécessaire, surtout aujourd’hui, d’avoir un critérium pour juger et une doctrine pour réunir tous les faits acquis de la science.
« Quelle est donc cette doctrine? Le déterminisme. Il est illusoire de prétendre remonter aux causes des phénomènes par l’esprit ou par la matière. Ni l’esprit ni la matière ne sont des causes. Il n’y a pas de causes aux phénomènes; et en particulier pour les phénomènes de la vie, et pour tous ceux qui ont une évolution, la notion de cause disparait, puisque l’idée de succession constante n’entraîne pas ici l’idée de dépendance. Les phénomènes de l’évolution s’enchaînent dans un ordre rigoureux, et cependant nous savons que l’antécédent ne commande certainement pas le suivant. L’obscure notion de cause doit être reportée à l’origine des choses : elle n’a de sens que celui de cause première ou de cause finale ; elle doit faire place dans la science à la notion de rapport ou de conditions. Le déterminisme fixe les conditions des phénomènes; il permet d’en prévoir l’apparition et de la provoquer lorsqu’ils sont à notre portée. — Il ne nous rend pas compte de la nature ; il nous en rend maîtres.
« Le déterminisme est donc la seule philosophie scientifique possible.
« Il nous interdit à la vérité la recherche du pourquoi ; mais ce pourquoi est illusoire. En revanche, il nous dispense de faire comme Faust qui, après l’affirmation, se jette dans la négation. Comme ces religieux qui mortifient leur corps par les privations, nous sommes réduits, pour perfectionner notre esprit, à le mortifier par la privation de certaines questions et par l’aveu de notre impuissance. Tout en pensant ou mieux en sentant qu’il y a quelque chose au-delà de notre prudence scientifique, il faut donc se jeter dans le déterminisme. Que si après cela nous laissons notre esprit se bercer au vent de l’inconnu et dans les sublimités de l’ignorance, nous aurons au moins fait la part de ce qui est la science et de ce qui ne l’est pas.»