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récit de son voyage avec toute sorte de drôleries, mêlant les vers à la prose, riant de lui-même et de ses mésaventures, exposant ses embarras financiers, racontant sa visite au château de Vaux, où Fouquet lui fait donner 30 pistoles pour un sonnet; enfin, décrivant son voyage de Melun à Montereau par le coche, et de Montereau à Sens sur une haridelle efflanquée, laquelle eût mieux convenu au dernier rustre qu’à un homme vêtu d’un bel habit de moire : « Avec un aussi bel habit, jugez, madame, quelle figure je faisais sur une haridelle qui, outre cinq ou six incommodités dont la moindre suffirait pour faire mourir un cheval de la grande écurie, avait une bride de corde et des étriers de bois.

« Paré comme un roi de la Chine
Et blond comme l’astre du jour,
Tous les paysans d’alentour
S’étonnaient de ma bonne mine.
En chaque village où j’allais
On disait que je ressemblais
Un soleil qui va faire éclipse;
Et, s’il faut ne vous céler rien,
Le cheval de l’Apocalypse
Était moins maigre que le mien. »


Ce badinage, à peu près du même temps que le voyage de Chapelle et de Bachaumont, fut le début de Boursault comme rédacteur de feuilles légères. Il n’avait songé qu’à rire, le voilà engagé journaliste. C’était vers 1661, la duchesse d’Angoulême était allée sans doute passer quelques jours à Versailles, elle montra cette lettre au prince de Condé, on en par la au roi, les courtisans applaudirent; bref, le gentil Boursault, au temps même où Molière l’outrageait en plein théâtre, et où Boileau lui déclarait la guerre, devenait le gazetier de la cour.

Il paraît bien, d’après les renseignemens du fils de Boursault, que la première de ces gazettes fut pour le roi. A tout seigneur tout honneur. Le roi, « en lui donnant une pension de 2,000 livres avec bouche à cour, lui ordonna de travailler à cette gazette et de la lui apporter toutes les semaines[1]. » Peste! quel succès dès le premier jour! Voilà un secrétaire intime qui est en passe de bien faire son chemin par le monde. Évidemment, c’est la bonne duchesse d’Angoulême qui lui vaut cela, plus encore que son esprit et sa plume. Peut-on s’étonner que cette fortune soudaine lui ait un peu tourné la tête? Quand nous le voyons s’engager si étourdiment dans les luttes de l’année 1663 et croiser le fer avec Molière, si nous voulons comprendre une telle audace, il faut nous souvenir

  1. Théâtre de feu M. Boursault, édition de 1725, t. Ier. Voyez l’Avertissement.