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tristes et que je prends la liberté de les adresser à Votre Altesse sérénissime, il me semble que je lui envoie des billets d’enterrement ; et je m’imagine que c’est un honneur que je dérobe, quand je l’entretiens de quelques matières qui ne la divertissent pas. Après tout, madame, ce n’est pas ma faute. Si la maladie de la reine empire, je n’en suis pas la cause; si Sa Majesté meurt, je n’y puis que faire; et si Votre Altesse sérénissime est présentement en travail d’enfant, je n’en peux mais. Apparemment je reprendrai bientôt mon style enjoué et je me servirai de ma façon d’écrire qui vous plaît le plus : car enfin la reine est morte pour longtemps, et Votre Altesse sérénissime n’accouchera pas tous les jours. Demeurez d’accord, madame, que je m’acquitte mieux d’un hommage galant que d’une offrande sérieuse, et que je ne suis bon qu’à faire pleurer quand je ne cherche pas à faire rire. Hé! s’il se peut, que Votre Altesse se dépêche de mettre un prince au monde... Ah ! madame, si vous faites un fils, que de charmantes petites pièces je m’en vais mettre au jour! A présent que je suis devenu poète pour l’expiation de mes péchés, je solenniserai sa naissance par les plus jolis vers du monde. J’ai déjà commencé un sonnet pour monseigneur le prince, que je ne puis achever tant il est beau! Deux de mes amis, qui soutiennent eux-mêmes qu’ils ont de l’esprit, et à qui je fis dernièrement grand’chère, l’ont applaudi de toute leur force; et depuis ce temps-là, je n’oserais douter que je ne sois poète-juré, de peur de faire tort à leur jugement. Je ferai tous mes efforts pour l’achever, quand on m’apprendra que vous ne souffrirez plus. Le travail de Votre Altesse sérénissime empêche le mien, et je ne puis enfanter de vers que vous n’ayez enfanté un prince. Hâtez-vous donc, madame, de remplir les désirs de toute la France ; et laissez-moi joindre des souhaits aux vœux que font pour vous ceux qui sont avec autant de respect que moi, madame, de Votre Altesse sérénissime,

Le très humble et très obéissant serviteur,

BOURSAULT.


Bien que l’auteur de ces gazettes princières les rédigeât incognito, comme il le dit lui-même à la duchesse de Montpensier, le bruit s’en répandit bientôt à la cour. Des demandes nouvelles furent adressées au journaliste, plus d’un seigneur à la mode s’efforça d’obtenir un abonnement. Boursault ne pouvait suffire à la tâche. Obligé de choisir ses cliens, il faisait quelquefois passer les gens d’esprit non titrés avant les ducs et pairs. Un jour, un homme du meilleur monde, M. de Fieubet, conseiller d’état, qui avait du suivre le roi à Fontainebleau pour un temps assez court, fit promettre à Boursault de lui adresser pendant cette absence quatre lettres envoyées de Paris, quatre lettres de nouvelles, c’est-à-dire