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j’aperçus tout seul dans une loge, d’avoir la bonté de se précipiter sur moi, au moment que l’envie de se désespérer le voudrait prendre. »

Ces froides plaisanteries ont du moins le mérite de nous montrer quelles espérances enthousiastes précédèrent l’apparition de Britannicus. C’est une indication qui ne manque pas d’intérêt pour l’histoire littéraire. J’en dirai autant de ce qui concerne l’attitude de Boileau en cette glorieuse journée. On a beau connaître à fond l’amitié de Boileau et de Racine, on a beau se rappeler que Boileau, le rude censeur des sots livres, avait des admirations d’artiste pour le génie et qu’il salua d’applaudissemens les débuts de ses grands contemporains encore inconnus ou contestés, il y a plaisir à le voir prendre si vivement parti pour Britannicus, s’associer si complètement aux inspirations de l’auteur et aux émotions du public, se montrer tour à tour étonné, ravi, — car c’est tout cela qui nous est donné en spectacle, même dans cette caricature crayonnée par Boursault :


M. D... (évidemment M. Despréaux), admirateur de tous les nobles vers de M. Racine, fit tout ce qu’un véritable ami d’auteur peut faire pour contribuer au succès de son ouvrage et n’eut pas la patience d’attendre qu’on le commençât, pour avoir la joie de l’applaudir. Son visage qui, à un besoin, passerait pour le répertoire du caractère des passions, épousait toutes celles de la pièce l’une après l’autre, et se transformait comme un caméléon à mesure que les acteurs débitaient leurs rôles : surtout le jeune Britannicus, qui avait quitté la bavette depuis peu, et qui lui semblait élevé dans la crainte de Jupiter Capitolin, le touchait si fort, que, le bonheur dont apparemment il devait bientôt jouir l’ayant fait rire, le récit qu’on vient faire de sa mort le fit pleurer; et je ne sais rien de plus obligeant que d’avoir à point nommé un fonds de joie et un fonds de tristesse au très humble service de M. Racine.


Mauvaise caricature, encore une fois, et cependant image précieuse à conserver, puisqu’elle nous fait voir la part que Boileau a prise aux premières victoires de son ami. Voilà bien l’homme qui a composé des strophes si aimables à propos de l’École des femmes et qui a écrit toute une dissertation à la louange de Joconde. Bien plus, lorsque Boileau, sept ans plus tard, écrira l’épître à Racine au sujet de la chute de Phèdre (1677), sa première pensée sera de lui rappeler ses jeunes chefs-d’œuvre, Andromaque, Britannicus, préparant le triomphe d’Iphigénie ; et cette sympathie ardente, dont Boursault veut se moquer, ce « fonds de joie et ce fonds de tristesse » dont Boursault essaie de faire une peinture ridicule,