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et que chacun de nous pût dire avec l’auteur de la Poétique nouvelle :

Chut! voici son image. Ami, découvrons-nous!
Sous ce front incliné quel œil profond et doux!
Comme on sent de ce cœur tout miné par la fièvre
Monter un rire humain sur cette épaisse lèvre !
Devant ce haut penseur découvrons-nous, ami !


Aujourd’hui, ce n’est plus assez de se découvrir. En ceci comme en tout, chacun a sa piété, et le culte de Molière a pris des allures différentes. Il y a une dévotion littéraire qui s’attache aux reliques, et souvent à des reliques du moindre prix, aux plus minces et aux plus insignifiantes. En un mot, la critique minutieuse et contentieuse est à l’œuvre. Les Allemands sont fiers ajuste titre de ce qu’ils appellent leur littérature de Goethe, leur littérature de Schiller. Je parle de ces collections de travaux consacrés aux grands poètes germaniques, collections sans cesse accrues et enrichies depuis plus d’un demi-siècle. Il s’en faut sans doute qu’elles soient irréprochables; qu’importe? si elles ne renferment pas toujours des chefs-d’œuvre, on n’y trouve jamais rien qui ne révèle un respect profond des maîtres, un culte sérieux du génie national. Nous aussi, à ce point de vue, nous pouvons montrer à nos amis comme à nos ennemis notre littérature de Molière. Cette ardeur avec laquelle tant d’esprits si divers se rattachent à nos vieux maîtres est un signe moral qui a bien sa valeur. Les uns y cherchent de grandes choses, les autres y poursuivent des détails ; chez tous, admirateurs ou curieux, francs artistes ou esprits raffinés, le sentiment est le même. On se rattache à la vieille France pour mieux servir la France nouvelle. Il n’y a pas de centenaire de Molière célébré à jour fixe avec trompettes et cymbales; les fidèles dont nous parlons n’aimeraient guère ces fêtes-là, il leur faut une fête de tous les jours. Voilà comment chaque année voit naître des recherches nouvelles qui nous rendent Molière plus présent avec son trésor de sagesse et de virile gaîté.

Ces recherches en effet se rapportent surtout à Molière lui-même, à sa vie, à ses aventures, à son théâtre, à la composition de ses pièces. Il y a une autre manière d’enrichir cette littérature et de compléter la vivante physionomie du poète, c’est de grouper autour de lui ses contemporains, ceux-là du moins qui se sont trouvés sur sa route, amis ou ennemis, adversaires acharnés ou contradicteurs d’un jour. On peut faire plus d’une découverte en cette curieuse mêlée. A qui prendrait la peine d’y regarder de près se révéleraient bien des incidens inattendus, et peut-être l’histoire littéraire, même sur des points qui semblent définitifs, y trouverait-elle largement son profit.