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Un écrivain aimable, un lettré des plus fins, initié dès longtemps aux secrets du XVIIe siècle, l’auteur de l’intéressant ouvrage intitulé la Littérature indépendante et les écrivains oubliés, M. Victor Fournel, vient précisément d’achever une publication très curieuse, où revivent quelques-uns des contemporains du grand poète. Les Contemporains de Molière, tel est le titre de ce travail. L’auteur ajoute : Recueil de comédies rares ou peu connues jouées de 1650 à 1680, avec l’histoire de chaque théâtre, des notes et notices biographiques, bibliographiques et critiques[1] . L’ensemble forme trois volumes. Le premier est consacré au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, c’est-à-dire aux adversaires les plus décidés de Molière, le second aux ballets et mascarades de la cour, le troisième au théâtre du Marais. Quinault, Boisrobert, Boursault, Villiers, Chapuzeau, Poisson, Benserade, Champmeslé, Hauteroche, d’autres encore, passent tour à tour sous nos yeux avec leurs comédies et leurs mascarades.

Tous n’ont pas le même mérite et n’offrent pas le même intérêt. Mme de Sévigné ne disait pas de chacun d’eux ce qu’elle disait de Benserade : « On ne fait point entrer certains esprits durs et farouches dans le charme et dans la facilité des ballets de Benserade et des fables de La Fontaine ; cette porte leur est fermée et la mienne aussi. » Ainsi parle l’aimable marquise. Méconnaître Benserade ou La Fontaine, c’est même chose à son goût, les gens d’esprit doivent tenir à distance « l’homme qui condamne le beau feu et les vers de Benserade, dont le roi et toute la cour a fait ses délices, et qui ne connaît pas les charmes des fables de La Fontaine. » N’allez pas croire que cette comparaison soit un caprice de sa plume et cette excommunication un badinage, elle y insisterait avec plus de force. « Je ne m’en dédis pas, ajoute-t-elle ; il n’y a qu’à prier Dieu pour un tel homme et qu’à souhaiter de n’avoir point de commerce avec lui.»

Sans être un esprit dur et farouche, il est permis de ne pas partager l’enthousiasme de Mme de Sévigné pour ces ballets de cour, ces mascarades galantes, où Benserade était le maître incontesté, et si l’on brave sur ce point son vade retro, à plus forte raison ne faut-il pas s’engouer de ces auteurs de comédies oubliées qu’elle n’a jamais comparés à Molière. A les prendre simplement pour ce qu’ils sont, rien n’est plus agréable que de passer quelques heures avec eux. Comédies ou ballets, toutes ces œuvres si habilement rassemblées par M. Victor Fournel nous reportent au milieu du monde le plus éloigné du nôtre. On passe de la mêlée du XIXe siècle à la mêlée du XVIIe car c’est une mêlée aussi et parfois très étrange.

  1. Paris, Firmin Didot.