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lieu: il fit arrêter sur-le-champ le scélérat qui l’avait commis; mais le châtiment de ce misérable pouvait-il rendre l’honneur à la veuve d’Agénor? Ce ne fut point l’avis du marquis de Chavigny. Le noble justicier pensa qu’une autre réparation devait précéder le supplice, il pensa que Bélise devait consentir à épouser Ariston, et qu’Ariston, cette réparation accomplie, devait être immédiatement décapité. Bélise, révoltée d’abord à l’idée de ce mariage, surmonta bientôt ses répugnances, et quand le marquis de Chavigny lui donna la main pour la conduire à ces noces sanglantes, une joie vengeresse éclairait le visage de l’épousée. Ariston sortit de sa prison pour aller à l’autel et fut mené de l’église à l’échafaud.

Tel est le jugement proposé par le marquis de Chavigny, jugement que le sénat de Venise avait confirmé, dit Boursault, « par un arrêt célèbre, » et dont l’exécution « mémorable » illustra le nom du marquis, autant que ses victoires sur les Turcs.

Ces deux premières nouvelles, écrites pour le divertissement d’un monde dont Boursault était à la fois l’amuseur et le confident, renferment-elles une part de vérité? Il est difficile de répondre à cette question. Du moins, une chose curieuse à noter, c’est le soin que prend l’auteur de faire croire à la réalité de son récit. Son fils, le théatin, qui est ici l’écho de la société d’élite, nos dit que ces deux romans, le Marquis de Chavigny, ainsi qu’Artémise et Poliante, sont écrits « avec tout le feu et toute la politesse imaginable. » Retranchez ce que cet éloge a de trop exclusif, il en restera, ce me semble, une appréciation exacte. Dans l’un comme dans l’autre, il y a certainement beaucoup de feu, et aux situations même les plus violentes, la narration conserve une politesse qui ne se dément jamais. Ce sont bien là des pages qui de toute façon appartiennent au XVIIe siècle.

Au contraire, le Prince de Condé, publié en 1675, relèverait plutôt du XVIe siècle, non-seulement par le fond du sujet, mais par la manière dont ce sujet est traité. On croit par instans lire une page de Brantôme, ou du moins (pour ne pas sortir du XVIIe siècle), on pense à quelques-uns de ces hardis détails qui n’effrayaient pas la plume de Saint-Simon. Vous rappelez-vous le récit des étranges aventures de Lauzun? Vous rappelez-vous le jour où le duc de Lauzun, qui n’est encore que le marquis de Puyguilhem, voulant surprendre un secret qui l’intéresse, se cache sous un lit qui va recevoir le roi et la Montespan? C’est par une scène absolument pareille que débute le roman du Prince de Condé. Ce prince de Condé est le frère d’Antoine de Bourbon, roi de Navarre, le beau-frère de Jeanne d’Albret, l’oncle de celui qui sera un jour Henri IV. On sait combien il était vif, impétueux, ardent aux galanteries comme aux batailles. C’était le grand adversaire des Guise. Un jour,