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peler, pour simplifier, la religion homérique et hésiodique, et la religion enthousiaste ou mystérieuse. C’est la première qui est la plus simple et la mieux connue. Elle ne contient qu’un petit nombre d’idées fondamentales. Divinisant les phénomènes naturels et l’homme, elle peuple l’univers de dieux humains et personnels, qui ont leurs passions et leur histoire ; et elle explique la destinée humaine par un partage entre les dieux et les hommes tout à l’avantage des premiers. Du côté de ceux-ci sont la puissance, la science, un droit de surveillance jalouse sur le monde, sur les sociétés et les personnes humaines. Les hommes sont tenus de rester dans les limites de leur condition, de ne pas offenser leurs maîtres par l’orgueil, de leur rendre les hommages matériels qui leur sont dus, ce qui implique la reconnaissance d’un ordre supérieur et la soumission à ces patrons capricieux dont l’imparfaite providence est toujours prête à se changer en oppression vindicative de la cité et de ses membres. Cette religion triste, étroite, oppressive, s’illumine et se relève en Grèce par l’éclat de la nature, dont elle est en grande partie le reflet, et par l’énergie singulière de l’homme, qui ne saurait se dépouiller de sa liberté, de sa confiance, de ses instincts nobles et délicats. C’est ce qui l’a fait vivre honorée et puissante pendant tant de siècles.

Cependant on conçoit qu’elle n’ait pas suffi au sentiment religieux. Il ne pouvait se contenter d’une vague confiance dans un pouvoir ordonnateur, moins attentif à récompenser qu’à punir, ni d’une sorte de contrat unilatéral qui n’assurait pas mieux la sécurité matérielle que la paix de la conscience. Les catastrophes les plus imméritées bouleversaient les états, ruinaient les fortunes particulières, et dans cette instabilité menaçante du sort les âmes cherchaient vainement pour s’y appuyer une sanction de leur droit moral et de leurs espérances religieuses. Telle est la cause profonde pour laquelle, lorsqu’on pouvait croire le Panthéon hellénique définitivement constitué sous les formes consacrées par Homère et Hésiode, on vit sortir de l’ancien fonds pélasgique ou arriver du nord et de l’orient des divinités d’un autre ordre, douées d’une action plus efficace et revêtues d’un caractère mystérieux. Il est curieux de reconnaître comment l’hellénisme, quand il eut le sentiment de son impuissance, alla chercher ce qu’il avait d’abord repoussé comme antipathique à son essence. Ce qui distingue en général ces divinités moins purement grecques, c’est qu’en elles la personnalité humaine est moindre et la vie de la nature plus fortement divinisée. Adonis, à Byblos et dans l’île de Cypre, représente le principe mâle et générateur, cette force qui abandonne la terre et y reparaît périodiquement, qui chaque année meurt et ressuscite.