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leurs partisans pour les soustraire à cette influence. Un fait plus significatif encore, dont nous aurons à nous souvenir à propos d’Aristophane, c’est le succès d’un moyen de popularité employé trois ans auparavant par Alcibiade. Depuis l’occupation de la forteresse de Décélie par les Lacédémoniens, la célébration des mystères ne se faisait plus avec la solennité habituelle. Les initiés étant obligés de se transporter par mer à Éleusis, avec la grande procession avaient disparu des sacrifices, des danses et beaucoup d’autres cérémonies. Le premier soin d’Alcibiade, une fois rappelé dans sa patrie, fut de rétablir avec son ancien éclat toute cette partie de la fête dont Athènes regrettait la suppression depuis huit ans. La procession développa donc de nouveau sur la voie sacrée la longue suite des initiés, conduits par le dieu et par les Eumolpides avec l’appareil usité. Elle s’avançait en bon ordre, calme et silencieuse, sous la protection des troupes d’Alcibiade, et les ennemis, qui la voyaient des hauteurs voisines, n’osèrent pas l’inquiéter. « Spectacle auguste et divin ! » dit Plutarque. Celui qui le donnait ainsi au monde, tous, excepté quelques envieux, voyaient en lui plus qu’un général à la tête de ses soldats ; « c’était un hiérophante, un mystagogue, un initiateur sacré. » L’enthousiasme du peuple fut à son comble. On oublia que, si la célébration régulière des mystères était restée si longtemps interrompue, c’était à cause de ce même Alcibiade qui avait conseillé aux Lacédémoniens l’occupation de Décélie. On oublia que, pour lui rouvrir la cité, il avait fallu que les Eumolpides le relevassent de la malédiction qu’ils avaient prononcée contre lui pour avoir profané ces mêmes mystères d’Éleusis.

Et en effet, ce qui n’est pas une preuve moins décisive de la vénération d’Athènes pour ces mystères, c’est que telle avait été la principale cause de la condamnation d’Alcibiade au début de la guerre de Sicile. Au milieu du mélange d’épouvante et de colère causé par la mutilation des Hermès, les dépositions d’esclaves et d’étrangers domiciliés révélèrent que les rites secrets de l’initiation avaient été parodiés dans une orgie par Alcibiade et ses compagnons de débauche. Ce fut la matière de l’accusation qui faillit d’abord empêcher son départ et qui, bientôt après, formellement intentée contre lui, fit envoyer en Sicile la galère salaminienne pour le ramener devant le tribunal comme accusé de crime d’état. L’acte, déposé par Thessalus, fils de Cimon, portait qu’Alcibiade s’était rendu coupable d’impiété envers les deux déesses, Déméter et Coré, en imitant les mystères ; que dans sa maison, revêtu du costume d’hiérophante, et se donnant ce titre, il avait parodié les initiations ; que deux de ses amis, Polytion et Théodore, s’étaient attribué les fonctions saintes du dadouchos (porte-flambeau) et du cé-