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se répercutera à l’intérieur et s’infiltrera inévitablement dans toutes les veines de la nation. Voulez-vous enlever au socialisme ce qu’il a de dangereux, laissez-lui libre carrière. Faites plus : écoutez ses doléances; portez remède, s’il se peut, aux maux qu’il signale et même favorisez l’application pratique de ses systèmes. Si l’on accordait tous les ans quelques millions pour des expériences socialistes, il n’y aurait pas d’argent mieux employé. Nous voyons dans le dernier discours de M. de Bismarck que le roi Guillaume a donné dans ce dessein une somme importante, et ni lui ni le chancelier ne le regrettent. Vous avez, dirait-on, une recette pour mettre un terme à tous les abus et pour transformer la société en un eldorado : c’est parfait. Groupez-vous, fondez l’Icarie, Salente, le phalanstère, la commune égalitaire ou la société coopérative. Voilà l’avance des fonds nécessaires à votre entreprise. Si vous réussissez, nous vous imiterons; mais, si avant la fin de l’année vous en venez aux mains et s’il y a guerre ouverte entre les frères ennemis, permettez que nous ne mettions pas la société à ce régime.

Le projet présenté au parlement allemand est conçu dans un autre esprit, il vise à comprimer. Comme le dit le discours du trône, on espère « que, quand on aura mis un terme à la propagation d’une agitation funeste, on réussira à ramener dans le droit chemin les esprits égarés. » Sans doute on arrêtera la publication des opinions socialistes. Les chefs du parti veulent même, dit-on, supprimer tous leurs journaux pour se contenter de la propagande individuelle et orale; mais celle-là est évidemment la plus efficace et la plus dangereuse. Quoi qu’il en soit, bientôt les couleurs s’effaceront, les traits du tableau deviendront indistincts. C’est donc le moment d’essayer de les saisir et de les fixer.


I.

Un diplomate italien d’infiniment d’esprit et qui a eu des relations suivies avec Cavour, M. le baron Blanc, m’a souvent raconté que ce grand et clairvoyant esprit lui avait prédit que l’ultramontanisme s’allierait un jour au socialisme. M. Blanc lui-même le croyait fermement. M. de Bismarck a parlé à maintes reprises de l’union de l’Internationale rouge et de l’Internationale noire. Qu’on le prenne dans le bon ou dans le mauvais sens, le mot est juste. Les deux doctrines, le catholicisme ultramontain et le socialisme, placent leur idéal au-dessus et en dehors de la patrie et rêvent l’établissement d’un ordre nouveau où les mêmes principes régneraient partout. Qu’on leur en fasse un mérite ou un grief, tous deux sont prêts à sacrifier la nationalité à l’universalité. Les prévisions de Cavour et