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doit gagner par son travail le pain quotidien de sa famille, et la femme soigner le ménage et élever les enfans. Envoyer la jeune fille et la femme dans le milieu immoral de la fabrique, c’est détruire la famille chrétienne. L’ensemble de ces mesures constituerait le droit ouvrier comme il y a le droit commercial, le droit maritime, le droit civil. Il réglerait les relations des apprentis avec les maîtres et des industriels avec les ouvriers. L’anarchie actuelle cesserait. L’ordre serait rétabli, non identique à celui qui existait jadis, mais fondé sur les mêmes principes. Faut-il s’étonner, ajoute l’orateur, que les exigences du peuple soient parfois peu raisonnables et les accusations souvent trop violentes? Cela vient de ce qu’on ne fait rien pour lui.

2° Comme Lassalle, le chanoine Moufang demande que l’état fasse des avances aux sociétés ouvrières. Quand de riches capitalistes établissent un chemin de fer, l’état leur accorde des garanties d’intérêt ou des subsides. Pourquoi refuse-t-il les mêmes avantages aux ouvriers? Ils y ont plus de droit puisque pour eux il s’agit non de s’enrichir, mais de vivre. « Je ne suis pas partisan des ateliers de M. Louis Blanc, dit M. Moufang, mais, quand une solide association ouvrière a besoin d’aide, je ne vois pas pourquoi l’état la lui refuserait. Ce qui est équitable pour les uns l’est aussi pour les autres. » Le chanoine de la cathédrale de Mayence néglige de dire en quoi ses associations diffèrent de celles de M. Louis Blanc. C’est probablement en ce que les siennes seraient fondées sur la base des principes catholiques, ad majorem Dei gloriam. 3° L’état doit aussi diminuer les charges fiscales et militaires qui pèsent si lourdement sur l’ouvrier. Le rentier qui a des millions en portefeuille ne paie presque rien, tandis que le travailleur, qui n’a que son maigre salaire, le voit encore réduit par les impôts directs et indirects, sans compter ses plus belles années prises par le service à l’armée. La justice distributive réclame ici des réformes radicales. Le militarisme est le fléau de l’Allemagne. 4° Enfin l’état doit mettre des limites à la tyrannie du capital. Je n’attaque ni la richesse ni les riches, dit M. le chanoine, car, selon l’Écriture sainte, la richesse et la pauvreté viennent de Dieu, mais ce que je condamne, c’est la façon dont s’enrichissent aujourd’hui les millionnaires et les « milliardaires. » D’où viennent ces millions si rapidement acquis sans travail? Ils sont prélevés sur le produit des sueurs de la classe laborieuse, qui doit payer les revenus de ces immenses fortunes que créent des jeux de bourse ou des entreprises véreuses. En parlant ainsi, M. Moufang est évidemment inspiré et aigri par les souvenirs des Schwindeljahre, des années de folle spéculation qui ont suivi 1871; mais ici encore il eût été bon de ne pas se borner à d’éloquentes tirades contre « la tyrannie du capital ; » il eût été utile d’indiquer les moyens de mettre un terme à ses iniquités.