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qui, dépouillés par la fer des branches superflues où s’égarait la sève, n’en deviennent que plus vigoureux, et la nécessité aura tenu lieu de sagesse… »

Ne soyons pas trop sévères pourtant envers la sagesse que l’opinion libérale en France sut apporter, à la veille de la révolution, dans ses jugemens sur le problème oriental ; car, si nous nous tournons du côté de l’Angleterre vers la même époque, de ce pays renommé par son esprit pratique et son bon sens-héréditaire, nous recueillerons de la bouche des whigs, des meneurs célèbres du grand parti populaire, maintes paroles qui, pour l’excentricité et l’absence complète d’instinct politique, ne le cèdent que fort peu aux bizarres déclamations de Volney. Le 29 mars 1791, Burke déclarait dans la chambre des communes[1] ne pouvoir revenir de sa stupeur de voir tout à coup l’empire ottoman considéré comme nécessaire à l’équilibre européen. Quelques jours plus tard, Grey introduisait plusieurs « résolutions pour préserver la paix » contre la politique de Pitt, qui demandait des arméniens afin que la Turquie pût obtenir des conditions plus favorables de Catherine. « Tout agrandissement en Orient, opinait Grey, au lieu de fortifier la Russie ne deviendra pour elle qu’une augmentation de faiblesse ; mais dût même l’impératrice réaliser toutes les vues ambitieuses qu’on lui impute, dût-elle prendre possession de Constantinople et exterminer les Turcs de l’Europe, l’humanité, loin d’en être injuriée, ne pourrait que bénéficier de cet acte. » Enfin Fox, de son côté, prétendit que c’était quelque chose de tout à fait nouveau d’entendre dans cette enceinte des appréhensions au sujet de la grandeur de la Russie : « Au moment où Catherine incorporait la Crimée, M. de Vergennes proposa de faire des représentations communes. J’étais alors ministre de Sa Majesté, et la réponse que je recommandai fut que Sa Majesté ne ferait pas de représentations, et ne susciterait à l’impératrice les moindres obstacles. L’Angleterre n’a qu’à fortifier la Russie dans ses projets d’agrandissement sur les ruines de l’empire turc…. » Pour la première fois dans sa carrière de ministre, Pitt dut céder à l’opposition, et retirer sa demandé de crédits ; cela même ne calma pas l’ardeur des whigs, et un membre important du parti, M. Adair, alla en mission secrète à Saint-Pétersbourg, pour y contrecarrer les efforts du représentant officiel de l’Angleterre, M. Fawkener. Peu importe que Fox ai pris l’initiative de cette inqualifiable mission, ou qu’il l’ait seulement approuvée (point toujours en litige entre les historiens whigs et tories) : il est sûr, dans tous les cas, que Pitt a, par deux reprises, affirmé devant le parlement que la présence de M. Adair à la cour de Saint-Pétersbourg

  1. Voyez pour tout ce qui suit Annual Register, 1791 et Wurm, ubi suprà, p. 118.