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du talent, de la poésie, des idées généreuses et parfois chimériques, des dévoûmens magnanimes et souvent irréfléchis. Après le triomphe de la cause de la réforme en Angleterre, et du régime de juillet en France, il ne tarda pas à entrer dans une période de maturité et de raison plus rassise. Les classes moyennes, arrivées décidément au pouvoir et devenues les classes vraiment dirigeantes, imprimèrent à l’ensemble des affaires publiques le cachet de cette modération, de cette sobriété, de cette froide réflexion, qui étaient dans leur tempérament même, et se tinrent en garde contre les élans aussi bien que contre les illusions de l’âge précédent. Il s’en faut cependant que le problème oriental ait beaucoup gagné à ce changement de température ; la prose industrielle lui fut non moins funeste que ne l’avait été auparavant la poésie philhellène, et il n’a fait que tomber de Charybde en Scylla, alors qu’à l’école romantique, amoureuse plus que de raison du klephte et du pittoresque, vint succéder en omnipotence l’école économique avec son déplorable penchant à ne tenir compte dans la vie des nations que des intérêts matériels, et à reléguer dédaigneusement parmi les profits et pertes les labeurs de tant de siècles, et le travail mystérieux de la Providence.

C’est le propre de toute démocratie bourgeoise (et dans notre XIXe siècle la démocratie sera toujours bourgeoise, à moins de devenir jacobine ou césarienne) de manquer de traditions et de prévisions, de n’avoir pas de vues larges et générales en matière politique, surtout en matière de politique étrangère. Le grand sens et le fort sentiment des choses lui font souvent défaut ; elle n’est que trop portée à remplacer le sentiment par la sensibilité, l’honneur par l’honorabilité, et à prendre l’équilibre de son budget pour l’équilibre du monde. Ces tendances, déjà naturelles aux générations qui se suivirent après 1830, furent encore développées et poussées à l’extrême par tout un mouvement d’idées nouvelles en fait d’industrie et de commerce, idées merveilleusement adaptées aux besoins et aux activités de notre société moderne, et dont l’école de Manchester était devenue la principale officine. Sans vouloir diminuer en rien assurément les immenses services que ces nouvelles doctrines ont rendus à la cause du progrès et du bien-être des masses, on ne saurait nier toutefois qu’elles n’aient beaucoup contribué aussi à ce relâchement patriotique et à ce cosmopolitisme matérialiste qui font tache, quoi qu’on en dise, dans le tableau splendide de notre civilisation. Pour nous en tenir seulement au sujet de cette étude, qui ne sait que l’école des économistes a prêché de tout temps l’indifférence en fait de politique orientale ? Ennemie déclarée de tout système prohibitif, elle proclamait la maxime du laisser faire jusque dans les relations internationales ; sans souci