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ne nuisit que fort peu à la « réputation » du manufacturier de Manchester, et ne jeta aucun discrédit sur des idées qui tenaient à tout l’ensemble du développement moral et social de la bourgeoisie moderne. Lors de la guerre de Crimée, du reste, l’école de Cobden était déjà assez nombreuse et influente pour faire longtemps illusion à l’empereur Nicolas suc les dispositions réelles de l’Angleterre, qu’ils s’obstinait à croire décidément « mercantiles » et inébranlablement pacifiques ; et en effet, c’est à peine si le coup de foudre de Sinope parvint à imposer silence aux fidèles de Manchester, aux amis de la paix, qui jusqu’au dernier moment s’étaient portés garans des intentions bénignes du tsar. Qui sait, en outre, si, sans l’énergie exceptionnelle que montra en cette occasion l’empereur Napoléon III, les flottes alliées seraient jamais allées mouiller à Bésika ? .. Il serait malaisé de le nier : dans cette circonstance mémorable, les deux gouvernemens alliés ont été bien en avant du sentiment de leurs pays, et lui ont fait en quelque sorte violence. La guerre d’Orient, — au jugement de M. Thiers, la seule guerre vraiment politique du second empire, — a été dès son origine et est demeurée jusqu’à aujourd’hui l’action d’éclat la moins populaire de Napoléon III. En France, comme en Angleterre, l’opinion publique n’est jamais parvenue à s’échauffer pour la cause débattue dans la presqu’île de la Chersonèse, à comprendre la grandeur des intérêts qui y étaient alors engagés, encore moins à tirer les conséquences nécessaires, impérieuses d’une entreprise qui était condamnée d’avance à la stérilité la plus complète, dès qu’on n’était pas résolu à la mener jusqu’au bout. L’opinion libérale salua avec des transports de joie un traité de paix dérisoire, sans rapport avec le but poursuivi, sans proportion avec les sacrifices imposés, et à la conclusion hâtive duquel elle n’avait pas peu contribué par ses impatiences et son inintelligence politique ; Elle sut gré à Napoléon III de s’être contenté de la moitié de Sébastopol ; elle ne devait pas lui pardonner, par contre, quelques années plus tard, d’avoir fait halte devant le quadrilatère autrichien ! ..

Il suffira de rappeler seulement ici, — car il serait trop douloureux de descendre aux détails, — combien depuis lors les traditions d’équilibre européen, de solidarité entre les états, de respect dû aux traités, sont allées en s’affaiblissant. A la place de ces maximes décidément surannées et taxées de préjugés, sont venues s’établir les belles doctrines de guerres « localisées, » de « sphères d’intérêts particuliers, » de neutralité « attentive, » d’inaction « magistrale, » et de la force primant le droit, — doctrines toutes imprégnées de l’esprit qui souffle de Manchester. On a vu l’action dissolvante de ces principes en Occident aussi bien qu’en Orient, on l’a vue