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aux contrats de mariage empêchent-ils le mariage d’être une institution salutaire, et que la société doit entourer de protection et de respect ?

Il est juste d’ailleurs de reconnaître qu’en émettant des idées si étranges et si choquantes pour l’époque en matière de politique extérieure, le manufacturier de Manchester a fait preuve d’une rare sagacité et d’une perception merveilleuse des instincts et des intérêts qui allaient devenir dominans à la suite de la réforme électorale en Angleterre. Ç’a été jusqu’alors la fortune immense de ce pays et peut-être bien le secret de sa grandeur, que l’aristocratie anglaise a, de tout temps, tenu un compte très sérieux des intérêts commerciaux et industriels des classes moyennes, et que ces classes, de leur côté, se sont fiées à leur aristocratie pour les relations internationales dont la haute et difficile direction gagne tant à l’expérience et à l’esprit traditionnel d’un corps héréditaire. La réforme électorale de 1830, en rompant cet équilibre intérieur et en assurant la prépondérance gouvernementale de la bourgeoisie, devait aussi de toute nécessité apporter un profond ébranlement à ces idées d’équilibre européen que l’aristocratie britannique avait traditionnellement représentées dans la conduite des affaires étrangères, et Cobden le disait, d’une manière très explicite dès le début de son écrit : « Il a été démontré naguère en Angleterre, — ainsi s’exprimait-il, — qu’à certaine époque de l’histoire d’une nation, il devient nécessaire de soumettre à une révision les principes de sa politique intérieure, afin d’adapter le gouvernement aux conditions changées et améliorées du peuple ; dès lors n’est-il pas également recommandé par la sagesse d’altérer en même temps les maximes par lesquelles la politique extérieure de la communauté a été dirigée dans le passé, et de les rendre conformes aux changemens qui sont intervenus dans le monde entier ? » La conséquence en effet était tellement logique et fatale que l’auteur n’hésitait pas à prédire un triomphe prochain et éclatant à ses opinions sur l’innocuité de la Russie et sur l’inutilité de tout système d’équilibre. « Celui qui écrit ces lignes engage sa réputation (stakes his reputation) sur cette prophétie que d’ici à vingt ans toute l’Angleterre partagera son sentiment à cet égard, et que sa conviction s’imposera au gouvernement de ce pays. » Cobden avait seulement le tort, en 1836, de vouloir assigner une date trop précise à l’accomplissement de sa prophétie (ce dont l’oracle de Delphes s’était toujours bien gardé) : avec tout l’à-propos de M. Poirier il donnait rendez-vous à ses contemporains dans vingt ans… juste l’année de Sébastopol !

L’ironie du sort fut piquante, à coup sûr, bien plus piquante toutefois que véritablement cruelle : cette mortification passagère