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développement de sa puissance politique, industrielle et commerciale ; mais elles peuvent aussi l’engager dans de cruels embarras, lui valoir peut-être des humiliations, en tout cas donner un jour ou l’autre le signal d’un conflit longtemps ajourné. Cette lutte gigantesque, qui mettrait l’Angleterre et la Russie aux prises tout ensemble en Europe et en Asie, ainsi que dans toutes les mers du monde, les plus confians même n’y songent pas sans un serrement de cœur, tant elle fera couler de sang, tant elle fera verser de larmes ! Le sentiment qui domine donc en Angleterre, chez ceux qui ne blâment point avec emportement la convention, c’est une approbation réfléchie, qui ne marchandera pas au premier ministre l’appui de ses votes, mais qui n’en comporte pas moins bien des réserves intimes, bien des appréhensions secrètes !

Le seul Anglais peut-être dont la satisfaction doive être sans mélange, c’est l’habile et savant conservateur des antiques au Musée britannique, M. Newton[1]. Du jour où il a su l’Angleterre maîtresse de Cypre, quelles recherches et quels travaux a dû projeter, quelles découvertes a dû augurer l’auteur des célèbres fouilles d’Halicarnasse et du Mausolée, de tant d’heureuses trouvailles faites sur les côtes de l’Asie-Mineure et dans les îles de la mer Egée ! Ses journées, il les passe à préparer la campagne nouvelle ; quant à ses nuits, je me les figure pleines de songes dorés, de visions à ravir en extase un archéologue. Il se voit pénétrant, à la lueur des torches, dans des chambres souterraines comme celles où a été retrouvé le fameux trésor de Curium, aujourd’hui la gloire du Musée de New-York. Par un escalier taillé dans le roc, il descend au-dessous des vieux sanctuaires détruits ; les marches succèdent aux marches ; puis tout à coup, devant lui, s’ouvre un couloir étroit et bas, qu’il suit le corps courbé en avant, le cœur tressaillant d’attente et d’espérance. Il arrive enfin dans une pièce spacieuse, dont personne n’a franchi le seuil depuis le temps d’Etéandros de Paphos, qui payait tribut à Assar-Haddon, ou depuis le règne d’Évagoras de Salamine, qui fut loué par Isocrate. Les flambeaux jettent alors un plus vif éclat, et tout autour de la salle étincellent, mêlés à la rouge cornaline et aux teintes variées de l’agate, l’or et l’argent des colliers, des bracelets, des pendans d’oreilles, les facettes brillantes du cristal de roche. Dans cette riche collection de joyaux, parmi tous ces chatoiemens et ces reflets, l’œil du connaisseur, après le premier éblouissement, distingue, d’un regard rapide, des échantillons des styles les plus divers. De l’Égypte et de l’Assyrie à la Grèce, l’antiquité est là tout entière, représentée par des chefs-d’œuvre de patience et de goût.

  1. Voir nos études sur l’organisation, du Musée britannique dans la Revue du 1er et du 15 décembre 1875.