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L’ÎLE DE CYPRE.

D’un si beau rêve, que reste-t-il, quand on se réveille en sursaut, quand on s’aperçoit que l’on était la dupe du sommeil et de l’imagination surexcitée ? Ce qu’il en reste, dans l’esprit d’un homme tel que M. Newton, d’un conservateur passionné pour son Musée, d’un voyageur infatigable qui part pour l’Orient comme vous partiriez pour Dieppe ou pour Trouville, c’est un vif désir de faire que le rêve devienne, dans la mesure du possible, une réalité. Il a dû laisser l’été s’achever et l’automne ramener quelque fraîcheur ; mais maintenant, j’en jurerais, M. Newton va boucler cette valise qui déjà tant de fois a fait le tour de la Méditerranée ; bientôt après, accompagné de quelqu’un de ses fidèles lieutenans, M. Murray ou M. Percy Gardner, il ira prendre possession du sol, au nom du Musée, comme sir Garnet Wolseley l’a fait, en juillet dernier, au nom de la couronne d’Angleterre. Avec son expérience et son coup d’œil, il ne lui faudra pas longtemps pour visiter tous les sites antiques, pour apprécier les chances de découvertes qu’ils présentent, pour interroger les indigènes qui ont aidé dans leurs fouilles M. Lang et Cesnola, pour s’assurer les services des plus intelligens d’entre eux et pour établir des chantiers sur les points qui sembleront les plus riches de promesses. Plus de firmans à demander, à attendre pendant de longs mois, comme lors des fouilles de Ninive ou d’Halicarnasse, en Turquie ; plus de mauvaises volontés, ouvertes ou cachées, à désarmer ou à déjouer, mais une pleine et entière liberté de creuser partout, aussi profondément que l’on voudra, moyennant une juste indemnité comptée aux propriétaires du terrain. Pas de loi jalouse non plus, comme la loi grecque, pour forcer ceux qui retirent du sol les monumens, non sans de grandes fatigues et de grandes dépenses, à les livrer ensuite aux musées d’Athènes ; car ce sont là les conditions, vraiment trop dures, que les Allemands ont dû accepter avant de fouiller la plaine d’Olympie, et l’École française l’île de Délos[1]. La marine, l’armée, toutes les autorités anglaises prêteront leur concours aux travaux, aideront à enlever les objets découverts et à les faire parvenir, sans qu’ils éprouvent aucun dommage, jusqu’à l’opulent Musée où ils iront prendre leur place dans des séries déjà formées. D’autre part les paysans, certains d’être libéralement payés chaque fois qu’ils apporteront un monument de prix, n’auront plus d’intérêt à dissimuler l’origine des antiquités qu’ils recueillent, à gaspiller des trésors dans la précipitation de fouilles clandestines, nocturnes, inquiètes, comme celles qui de la nécropole de Tanagre ont fait sortir tant de merveilles avec si peu de profit pour la science.

  1. Ces fouilles, dont on a trop peu parlé, font grand honneur au pensionnaire qui les a dirigées avec beaucoup de tact et de persévérance, M. Homolle. On trouvera des détails à ce sujet dans le Bulletin de correspondance hellénique, 1878, pp. 1,321,397,570.