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les sources sont taries ; hors dans le fond de quelques vallées étroites où se maintient un peu d’humidité, toutes les plantes herbacées ont jauni et se sont fanées. Beaucoup d’arbres même penchent languissamment le bout de leurs rameaux flétris et laissent tomber leurs feuilles roussies. Hommes, animaux, végétaux, tout ce qui vit meurt de soif ; on ne fait plus d’affaires que le matin et le soir. Pendant la journée, on dort d’un lourd sommeil. La nature entière attend, haletante et triste, le premier nuage d’automne, les premières gouttes de pluie.

Dans les beaux temps de l’île, ces chaleurs écrasantes devaient être tempérées, jusqu’à un certain point, par l’effet de deux causes dont l’action ne s’exerce plus aujourd’hui avec la même force, par une irrigation savante et par la bienfaisante influence de vastes forêts. À Cypre, comme en Crète, près des lieux anciennement habités, on trouve partout la trace de longues gouttières creusées au flanc des rochers pour recueillir et conduire dans de vastes réservoirs la plus grande quantité possible d’eau de pluie ; beaucoup de ces citernes existent encore, aux trois quarts comblées. Ailleurs, ce sont les restes de canaux qui servaient à mener au loin, dans la campagne, les eaux des sources et des rivières, à répartir entre les cultivateurs cette onde vivifiante. Ainsi emmagasinées et dirigées par l’ait et la main de l’homme, ces eaux, qui maintenant se perdent ou qui ne baignent qu’un étroit espace, devaient répandre la fraîcheur, devaient nourrir le feuillage et l’ombre dans bien des lieux dont l’aridité désole aujourd’hui le voyageur.

Ce qui ne pouvait manquer de modérer alors les effets de la chaleur et de la sécheresse, ce n’était pas seulement cette sollicitude prévoyante et ces divers travaux d’aménagement ; les forêts dont l’île était couverte, partout où le sol n’était point cultivé en céréales, en jardins et en vergers, contribuaient peut-être encore plus efficacement à rendre les eaux plus abondantes qu’elles ne le sont de nos jours, à les retenir sur les pentes qui depuis lors se sont dénudées et comme écorchées, à défendre plus longtemps ruisseaux et rivières contre les ardeurs de ce redoutable soleil qui les boit à longs traits, qui les épuise si vite jusqu’à la dernière goutte, depuis que le cours n’en est plus protégé par un épais rideau de feuillage. Tous les textes anciens s’accordent à nous représenter l’île comme merveilleusement boisée. La forêt, au moins dans certaines parties de l’île, formait une masse touffue, comme une armée de troncs fermes et drus dont les lignes serrées, se développant sur tous leurs fronts par rejets et par semences, semblaient marcher au-devant de l’homme, menacer ses cultures qu’elles envahissaient, et défier la cognée. L’homme se sentait mis en péril par l’élan continu de cette végétation puissante ; c’était une bataille à livrer, ou plutôt