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ne cessait de frémir et de s’agiter, ils ont toujours payé avec une docilité que rien ne lassait les lourds impôts dont ils étaient chargés. Les Anglais n’ont point à craindre de leur part, au moins d’ici à bien longtemps, cette hostilité et ces protestations qui ont persisté dans les îles Ioniennes jusqu’à ce que l’Angleterre les ait réunies au royaume de Grèce. Les Grecs de Cypre s’appliquent de leur mieux à exploiter leurs nouveaux maîtres ; c’est du moins ce que leur reprochent, avec une indignation un peu naïve, les correspondances des journaux anglais ; mais ils ne songeront pas de sitôt à s’en débarrasser ni même à les taquiner. Sir Garnet Wolseley et ses successeurs auront la vie plus douce que ne l’ont eue les lords hauts-commissaires près la république des Sept-Iles.

Cette obéissance facile et résignée, bien d’autres l’ont obtenue des Cypriotes avant les Turcs et les Anglais. Pendant le cours des VIIIe et VIIe siècles avant notre ère, suivant les destinées de la Syrie, Cypre fut rattachée, par un lien de dépendance plus ou moins étroit d’abord à l’empire ninivite, puis au dernier empire babylonien, le vainqueur de Tyr. Les historiens grecs n’avaient pas conservé le souvenir de cet assujettissement ; Cypre, pour les temps reculés, est presque en dehors de leur champ de vision ; mais les prophètes hébreux nous en avertissaient, au moins par voie d’allusion, et le fait de cette conquête a été mis hors de doute par des découvertes récentes. Sur l’emplacement même de Kition, en 1846, on a retrouvé une stèle en calcaire de l’île qui représente Sargon, le fondateur du palais de Khorsabad ; cette stèle, maintenant au Musée de Berlin, porte, avec la figure même du conquérant assyrien, une inscription cunéiforme qui mentionne un roi de Kition parmi les six rois de Cypre qui ont prêté hommage à Sargon ; d’autres inscriptions, provenant de l’Assyrie même, contiennent des données qui s’accordent avec le témoignage de cette stèle. Enfin, à défaut même de ces textes, l’alphabet cypriote, par la forme et la valeur de ses lettres, l’art cypriote, par le caractère de beaucoup de ses monumens, suffiraient à prouver qu’il n’y eut point là une sujétion éphémère et toute de forme ; les rapports se prolongèrent assez longtemps et furent assez intimes pour que Ninive et Babylone aient exercé sur la civilisation cypriote une influence profonde et durable.

Vers le milieu du VIe siècle, au moment où Babylone touchait à sa ruine, l’Égypte eut sous les princes saïtes une dernière et courte période de puissance et de fortune guerrière. Apriès avait soumis la Syrie ; son successeur, Amasis, conquit l’île de Cypre ; mais la domination égyptienne, cette fois, ne dura guère qu’une trentaine d’années. Un nouvel empire venait de naître, celui des Perses ; déjà, dans la courte durée d’une seule vie d’homme, il