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pénétrer la nature ni dans l’infiniment grand où elle montre ses splendeurs, ni dans l’infiniment petit où elle cache ses mystères. La méthode d’observation, entre leurs mains, n’a donné qu’une description sommaire, incomplète, et généralement superficielle des phénomènes et des êtres de la nature. La méthode expérimentale a une date, toute moderne, moins récente pourtant que certains savans contemporains, Claude Bernard entre autres, n’inclinent à le penser[1]. C’est le grand Bacon qui en est l’auteur ; c’est lui qui en a tracé les règles générales, mais précises, dans les aphorismes de son Organum que nos savans, aussi bien que nos philosophes, se plaisent à répéter. Il est vrai qu’il n’en a pas fait une application heureuse, faute de connaître, comme les savans des deux derniers siècles, les procédés spéciaux sans lesquels la méthode baconienne reste une lumière pour la direction de l’esprit plutôt qu’un instrument pratique d’expérimentation. Mais il n’en a pas moins ouvert la voie dans laquelle a marché depuis, sans repos et sans relâche, la grande école des philosophes et des savans qui ont pris pour guide l’observation, l’analyse et l’expérimentation dans la féconde série de leurs recherches. C’était l’avis de Buffon, d’Herschel, de Cuvier et de bien d’autres savans illustres contre lequel ne prévaudront pas les vives et spirituelles boutades de Joseph de Maistre. Plus heureux que leur maître à tous, grâce à l’invention des instrumens d’observation, ses grands disciples, parmi lesquels il faut compter Claude Bernard au premier rang, ont pu créer de véritables sciences là où il n’avait montré que des perspectives et tracé une direction à la philosophie naturelle.

La science de la vie n’est pas d’hier ; elle a commencé avec les premiers médecins qui, après l’âge mythologique, ont observé l’homme, au lieu de contempler les astres ou de regarder les entrailles des victimes. Mais, jusqu’à l’âge moderne, cette science, si l’on peut appliquer le mot à un mélange d’observations générales, de conceptions abstraites et de données purement empiriques, poursuivait la recherche des causes, confondant sous une seule dénomination les causes proprement dites avec les conditions et les principes élémentaires de la vie. Hippocrate et Aristote sont peut-être les seuls qui aient distingué ces divers aspects de la réalité observable, et qui aient laissé des descriptions vraiment scientifiques, bien que fort, incomplètes. Malgré les belles recherches anatomiques et expérimentales de physiologistes plus fidèles à l’observation qu’à la doctrine, tels que Harvey, Boerhaave, Haller, Spallanzani, cette préoccupation des causes vitales domina la

  1. La Science expérimentale, p. 93, par Claude Bernard.