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faits d’armes sous les murs de la vieille commune ! Sa seule industrie alors était la fabrication des armes, si bien que les bonnes lames de Montluçon étaient presque aussi célèbres en ce temps-là que les lames de Tolède et de Bilbao. Aujourd’hui, grâce aux richesses du sol, houilles et minerais de fer, grâce principalement au génie d’un fondateur, l’industrie des forges a doublé l’importance de la cité. Montluçon, quoique simple chef-lieu d’arrondissement, est désormais la première ville du département de l’Allier. Moulins, la noble et paisible capitale du Bourbonnais d’autrefois, n’est pas de force à lutter contre cette activité conquérante. Suivant l’ingénieuse comparaison d’Emile Montégut, Moulins est un vieux gentilhomme qui conserve sa position intacte tout en voyant sa fortune décroître ; Montluçon, au contraire, c’est le bourgeois des temps passés, qui, n’ayant pas de condition à garder s’il perd sa fortune, a endossé bravement la casaque du travailleur, s’est mis à forger du fer, à extraire de la houille, à polir les glaces, assurant ainsi le présent et s’emparant de l’avenir. Il y a donc eu pour Montluçon deux grandes périodes de vie active, le moyen âge et notre temps ; mais du XVIe siècle au XIXe quelle est la physionomie de la ville ? la physionomie d’une ville morte qui n’a pas l’espérance de renaître. C’est là que le gazetier du prince de Condé, de la grande Mademoiselle, de la duchesse d’Angoulême, de M. de Fieubet et du bon Langres, se trouva confiné vers 1670 pour y passer la seconde moitié de sa vie.

Longues, longues sont les journées dans le repos obscur de ces petites villes. Boursault, il est vrai, a sa besogne de receveur. De plus il est père de famille, il surveille l’éducation de ses enfans, il ne veut pas que ses fils grandissent au hasard comme il a grandi lui-même à Mussy-l’Évêque ; mais, sa tâche finie, à quoi employer les heures silencieuses ? C’est alors qu’il écrit ces lettres dont nous avons parlé, c’est alors surtout qu’il repasse dans sa pensée tout ce qu’il a fait depuis son arrivée à Paris jusqu’au jour où il est venu s’établir à Montluçon, les incidens si variés de sa vie, ses rapports avec des personnages si divers, poètes et comédiens, pairs de France, maréchaux, et les princes du sang, et les altesses sérénissimes, et le roi lui-même qu’il a eu l’honneur d’amuser et d’instruire. Tous ces souvenirs, avec les méditations qu’ils éveillent, finissent par prendre un corps. C’est une matière curieuse et précieuse qui sollicite son art. Naguère encore il badinait à tout propos ; sans rien perdre de son enjouement, il y a joint désormais l’expérience des choses et des hommes. Ce loisir, cette liberté que lui laisse la province, il faut qu’il les consacre à une œuvre de peintre et de sage, de peintre s’amusant à retracer la comédie humaine, de sage prenant plaisir à tenir école de sagesse. Voilà plusieurs années