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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/581

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déjà que Molière est mort ; n’y aurait-il pas une place à prendre à la suite du maître ? Il l’a dit lui-même en beaux vers :

Depuis combien de temps la fidèle Thalie
Dans un habit lugubre est-elle ensevelie
Le front ceint d’un cyprès, les yeux baignés de pleurs,
Sans qu’un autre Molière apaise ses douleurs !

Est-ce donc qu’il espère devenir cet autre Molière ? Non, ce n’est pas à cela qu’il prétend. Il sait combien la nature est « lente à faire de grands hommes. » Il voudrait essayer seulement d’enseigner la sagesse à ses semblables en les divertissant. Il a été journaliste à ses heures, il fera la comédie du journaliste ; il a été un sage à sa manière, il écrira la comédie du sage.

Le Mercure galant, Ésope à la ville, Esope à la cour, ces trois pièces, à peu près oubliées des générations nouvelles, sont restées longtemps au répertoire de l’ancien théâtre. Maintenant que nous connaissons Boursault dans la suite de ses œuvres et l’intimité de sa vie, nous sommes bien préparés, ce me semble, à remettre en leur vrai jour ces pages qui ont charmé nos pères.


I

En l’an 1672, un écrivain des plus médiocres, Jean Donneau de Visé, l’ennemi de Molière, de Racine, de Despréaux, auteur de comédies sifflées, voulant prendre sa revanche de ses nombreux échecs, eut l’idée de fonder un journal où il parlerait de toutes choses, des nouvelles de la cour, des nouvelles de la ville, des nouvelles des théâtres, sans s’oublier lui-même, sans oublier ses petites rancunes et ses petits ressentimens. Ce journal, il l’intitula le Mercure galant et le publia sans interruption pendant les années 1672 et 1673. Cela forme pour cette période six petits volumes in-12. À la fin de l’année 1673, soit que le succès n’eût point répondu à son attente, soit que d’autres occupations l’aient distrait, il abandonna son entreprise ; mais l’idée lui paraissait bonne, et il y revint cinq ans plus tard en 1677 pour y demeurer fidèle jusqu’à sa dernière heure. Jean Donneau de Visé est mort en 1710 ; de 1677 à 1710, pendant trente-trois ans, le Mercure galant a paru sans interruption, et la mort même du rédacteur en titre n’a pas fait disparaître le journal. Il n’y eut que le nom de changé. Le Mercure galant devint le Mercure de France, et occupa une certaine place dans le mouvement littéraire du XVIIIe siècle. Dufresny, Boissy, Marmontel, Gaillard, La Harpe, en furent tour à tour les principaux rédacteurs.

Je n’ai pas à parler du Mercure de France au XVIIIe siècle, il s’agit simplement de ses débuts dans la dernière période du siècle de