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Licidas est le cousin d’Oronte, Oronte s’entend avec lui, Oronte prend sa place, s’installe dans son cabinet, fait office de directeur, élève Merlin, le joyeux valet, au rang de secrétaire de la rédaction, tout cela précisément au jour où M. de Boisluisant vient d’arriver à Paris pour offrir à l’auteur du Mercure le tribut de son admiration. Il y a déjà trois jours que le jeune Oronte est à l’œuvre. Il apprend que Cécile est arrivée la veille avec son père et que les voyageurs sont descendus à l’hôtel de Touraine. D’une heure à l’autre, M. de Boisluisant va faire sa visite au Mercure. O ruse charmante ! y eut-il jamais stratagème plus habile ? Ainsi parle Oronte, qui ne pense qu’à son amour ; mais le secrétaire improvisé n’est pas de cet avis ; il le dit nettement à son maître :

MERLIN.
… Croyez-vous ma cervelle assez bonne
Pour résister longtemps à l’emploi qu’on me donne ?
Tant que dure le jour, j’ai la plume à la main ;
Je sers de secrétaire à tout le genre humain.
Fable, histoire, aventure, énigme, idylle, églogue,
Epigramme, sonnet, madrigal, dialogue,
Noces, concerts, cadeaux, fêtes, bals, enjouemens,
Soupirs, larmes, clameurs, trépas, enterremens,
Enfin quoi que ce soit que l’on nomme nouvelle,
Vous m’en faites garder un mémoire fidèle.
Je me tue, en un mot, puisque vous le voulez.
ORONTE.
Crois-moi, cinq ou six jours sont bientôt écoulés…


Il faut bien pendant ce temps-là tenir consciencieusement l’office de Licidas, puisque Licidas se prête avec tant d’obligeance aux combinaisons d’Oronte. A défaut de talent, il faut montrer du zèle, aller aux provisions, interroger, écouter, recevoir toute sorte de gens, prendre des notes de toute espèce :

……. Une de mes surprises,
C’est de voir tant de gens dire tant de sottises.
Licidas est le seul, délicat comme il est,
Qui puisse avec tant d’art démêler ce qui plaît.
Depuis deux ou trois jours que je le représente,
Je ne vois que des fous d’espèce différente
L’un qui veut qu’on l’imprime et n’a pas d’autre but
Croit que hors du Mercure il n’est pas de salut ;
L’autre dans la musique ayant quelque science
Croit de celle du roi mériter l’intendance ;
Celui-ci, d’une énigme ayant trouvé le mot,
Se croit un grand génie et souvent n’est qu’un sot ;
Cet autre, d’un sonnet ayant trouvé les rimes,
Croit tenir un haut rang chez les esprits sublimes ;
Enfin, pour être fou, j’entends fou confirmé,
A l’envi l’un de l’autre on veut être imprimé.
As-tu chez le libraire appris quelques nouvelles ?