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Boursault. Elle avait épousé en 1644 le fils naturel de Charles IX, Charles de Valois, duc d’Angoulême, comte d’Auvergne et de Lauraguais, mais elle ne demeura pas longtemps sa compagne, car le vieux duc, après une vie pleine des plus dramatiques péripéties, mourut à Paris le 24 septembre 1650. Françoise de Narbonne, la seconde duchesse d’Angoulême, était née en 1623; elle n’avait donc que vingt et un ans lorsqu’elle épousa le duc, fils naturel de Charles IX ; ainsi s’explique le fait singulier signalé par Boursault, cette femme, cette bru, qui n’est pas encore parvenue à l’extrême vieillesse, et dont le beau-père est mort depuis cent vingt ans. Il faut ajouter que la duchesse d’Angoulême survécut à ce dévoué serviteur. Si Boursault eût été de ce monde en 1715, il aurait pu signaler à son correspondant le même cas devenu bien plus extraordinaire encore; ce n’est pas de six-vingts ans qu’il aurait parlé, il aurait dit que la bonne duchesse, sa première protectrice, était morte le 10 août 1715, âgée de quatre-vingt-douze ans, cent quarante et un ans après son beau-père Charles IX.

Le correspondant auquel Boursault signale cette destinée singulière est encore un de ces grands personnages dont il eut l’honneur d’être le protégé; c’est l’évêque de Langres, duc et pair du royaume. Ici pourtant je dois marquer un doute qui m’arrête : les lettres de Boursault ne portant pas de date, je ne saurais dire si sa correspondance avec l’évêque de Langres avait commencé dès la période qui nous occupe ou si elle appartient seulement à la seconde moitié de sa vie. N’insistons pas; les preuves de ses relations avec les illustres personnages du temps ne sont-elles pas assez nombreuses? Toutes ces pages qui se rapportent à sa jeunesse nous le montrent de 1653 à 1663, c’est-à-dire de quinze ans à vingt-cinq, vif, aimable, enjoué, une sorte de Gil Blas qui ne doute de rien, qui se faufile auprès des grands, qui se fait aimer pour son esprit et apprécier pour sa candeur. Quels services leur rendait-il? Son rôle principal était celui d’un courrier littéraire. S’il est vrai, comme l’affirme son fils, le père théatin, qu’il ait écrit sa première comédie à quinze ans, il avait dès 1653 bien des accointances dans le monde des auteurs et des comédiens. Les hauts personnages qui le recevaient si volontiers trouvaient chez lui une gazette vivante.

Comprenez-vous maintenant ce qui se passe à la fin de l’année 1662 ? Molière vient de faire jouer l’École des femmes, et ce charmant chef-d’œuvre a excité autant de critiques violentes qu’il a obtenu d’applaudissemens. Les censeurs appartiennent à des catégories très différentes. Les deux principaux groupes, ce sont d’un côté les représentans de la société polie, ceux dont M. le comte Rœderer, de nos jours même, a pris si ingénieusement la défense.