que les petits vols se font au Châtelet et les gros au parlement. « Avoue, dit M. Sangsue, que ce chapeau volé au chapelier, ce gâteau extorqué au pâtissier, tout cela, dans la pièce, se rapporte aux procureurs du Châtelet :
- C’est à toi le premier à me faire un aveu,
- Que ceux du parlement ne prennent point si peu,
- Et que leur main crochue, à voler toujours prête,
- Aime mieux écorcher que de tondre la bête.
- Je vais devant monsieur dire ce que j’en crois.
- On grappille chez nous et l’on pille chez toi.
- Ce que tu fais bâtir au faubourg Saint-Antoine,
- Est-ce de grappiller ou de ton patrimoine ?
- Ton père était aveugle et jouait du hautbois.
- Et tes quatre maisons du quartier Quincampoix,
- A-ce été tes aïeux qui les ont là plantées ?
- Du sang de tes cliens elles sont cimentées.
- Il n’entre aucune pierre en leur construction
- Qui ne te coûte au moins une vexation :
- Et quand tu seras mort, ces honteux édifices
- Publieront après toi toutes tes injustices. »
Voilà encore le cri de l’homme de bien et l’accent du poète. Assurément on ne saurait voir là une comédie, puisqu’on n’y trouve ni action, ni caractère étudié dramatiquement, c’est du moins une série de tableaux comiques dont quelques-uns révèlent un pinceau vigoureux. Ce que j’en aime surtout, c’est le mélange de candeur et de fermeté, de bonhomie et de franchise. Le rapprochement des choses contemporaines ajoute encore à ce mérite. Quand je me reporte à la date où Boursault écrivait ces pages, quand je me rappelle que les Raymond Poisson, les Hauteroche, malgré les censures de Racine et de Boileau[1], continuaient à chercher le succès dans des équivoques malséantes (Racine emploie le mot turpitudes'), j’apprécie mieux l’inspiration plus ou moins forte, plus ou moins originale, mais toujours honnête, de l’auteur du Mercure galant.
Cette inspiration honnête, ce sentiment d’une comédie morale, à la fois sérieuse et joyeuse, est précisément ce qui frappa le public lettré dans la dernière période du règne de Louis XIV. On vit là une invention assez neuve et peu s’en fallut que l’auteur ne
- ↑ De Racine dans la préface des Plaideurs, — de Boileau dans le troisième chant de l’Art poétique.