- Jeune, galant, bien fait, s’il en est dans le monde,
- Propre en linge, en habits, grande perruque blonde ;
- Enfin, de la façon dont le ciel l’a formé,
- Il n’est pas de mortel plus digne d’être aimé.
- Monsieur le gouverneur, que la grandeur entête,
- Aux appas de sa fille offre une autre conquête,
- Et veut dès aujourd’hui qu’elle applique son soin
- A donner de l’amour au plus vilain marsouin.
- Voyez la pauvre enfant, elle s’en désespère !
- Et vous êtes si bien avec monsieur son père
- Qu’un mot que vous diriez le ferait consentir,
- S’il veut qu’elle soit femme, à la mieux assortir,
- A lui donner au moins un homme en bonne forme,
- Et non, comme il veut faire, une figure énorme
- Que dans sa belle humeur la nature, en jouant,
- A faite moitié singe et moitié chat-huant.
Cette entrée de jeu est vive, piquante, ingénieuse, car chaque figure s’y dessine, et les colères de Doris ne troublent pas un instant la sérénité souriante du bon Ésope. Ce n’est pourtant que le cadre du tableau. Il est trop certain que le sage n’épousera point la jeune fille en dépit de ses répugnances. L’intérêt n’est point là. Le vrai sujet, c’est l’enseignement moral du fabuliste.
Le missus dominicus est à son poste, tout prêt à écouter les plaintes des habitans.de Cyzique. Que veulent ces deux vieillards si humbles, si respectueux ? Ils demandent la révocation du gouverneur de la ville. Le gouverneur Léarque était pauvre quand il est entré en fonctions. C’est à peine s’il avait un laquais avec une méchante rosse. Maintenant il se fait rouler dans un carrosse à six chevaux. Évidemment il a triché, il nous vole, il nous pille. — Et vous en voulez un autre ! répond Ésope. Imprudens que vous êtes, vous en voulez un autre qui aura sa fortune à faire ! Gardez-moi donc celui-là, qui n’a plus besoin de s’enrichir. Il en crève, dites-vous, tant il s’est engraissé ;
- Un autre qui viendra s’engraissera-t-il moins ?
- Pour courir à la proie il sera plus allègre.
- Rien n’incommode tant qu’on nouveau seigneur maigre.
- A chaque heure du jour vous l’avez sur les bras.
- Il le faut engraisser, et le vôtre est tout gras ;
- Et c’est pour le public une chose moins aigre
- D’entretenir un gras que d’engraisser un maigre.
Antique et inutile expérience des peuples ! duperie incorrigible ! Ces vérités-là sont toujours opportunes et toujours neuves, bien qu’elles soient vieilles de plus de deux mille ans. C’est bien Ésope qui le premier a exprimé cette leçon, et c’est bien Aristote, le maître des maîtres, qui l’a répétée en le citant. Ouvrez le deuxième livre de la Rhétorique, lisez le chapitre XX, vous y verrez ce